Le double salto Macron-Bardella
En un week-end, le président et le leader RN ont dit exactement le contraire de ce qu’ils défendaient depuis des années. Miracle du retour à la terre, sortilège de l’air de la campagne…
Y aurait-il, dans l’atmosphère qui flotte au Salon de l’agriculture, des effluves surnaturelles ? Ceux qui viennent là, en tout cas, s’en trouvent transformés. Ainsi dimanche, Emmanuel Macron annonce soudain une mesure (importante) – les « prix-planchers » pour les produits de la terre – que son gouvernement repoussait avec horreur quelques semaines plutôt, la jugeant « démagogique ». Mais lundi, à l’inverse, Jordan Bardella dénonce hautement la même mesure, alors que son parti la défendait à son de trompe depuis dix ans. Étonnante conversion… On pense au « jour des fous », cet épisode des anciens carnavals où les seigneurs prennent la place des manants, et vice-versa.
Laissons de côté le président, dont la volte-face oblige maintenant les ministres à des contorsions dignes de Valentin-le-Désossé. L’affaire est de toutes manière derrière lui : il vient de jeter le désordre dans la coalition européenne pour l’Ukraine en annonçant tout à trac que des soldats occidentaux pourraient être déployés sur le front, ce qu’aucun partenaire, semble-t-il, n’envisage. Il lui faudra bien quelques jours pour expliquer qu’il n’avait pas voulu dire ça, ou bien pas exactement, ou bien sous toutes sortes de conditions, etc. Un clou chasse l’autre…
On n’est pas rendu…
C’est la position du RN sur les questions agricoles qui attire l’attention. En brûlant soudain ce qu’il avait adoré, Bardella souligne le grand sérieux avec lequel les frontistes abordent la question paysanne. Pour être efficace, le « prix-plancher », sauf à créer une distorsion grave avec les produits importés, suppose un accord européen. Oeuvre de longue haleine : la gauche au Parlement européen plaide en sa faveur depuis longtemps, mais la droite majoritaire n’en veut pas. On n’est pas rendu…
Peut-être est-ce pour cela que le numéro deux du RN a abandonné cet ancien totem : sa mise en oeuvre dépend de l’Europe honnie. Le RN s’en tient donc, désormais, à un discours nationaliste et protectionniste plus vague et plus conforme à ses convictions profondes : il faut se séparer des règles européennes et refuser tous les traités de libre-échange, passés, présents et futurs. Il faut tout autant ralentir toute évolution vers une agriculture écologique, source de normes « insupportables » pour le monde paysan, telle que la propose le « Green Deal » européen.
Avec ce léger défaut : l’agriculture française est incluse depuis les années 1950 dans l’organisation continentale négociée à Bruxelles, la PAC, et c’est dans ce cadre qu’on peut et qu’on doit négocier. Le repli national, dans ces conditions, revient à jeter bas la première politique de l’Union, c’est-à-dire, au bout du compte, l’édifice tout entier, vieux projet du RN qu’il camoufle sous un discours de réforme. Quant à fermer peu ou prou les frontières avec le reste du monde pour enrayer l’invasion des poulets brésiliens et des moutons néo-zélandais, le RN oublie de préciser que l’agriculture française exporte environ un quart de sa production, et que l’instauration d’une barrière aux importations impliquerait nécessairement, à terme, la même pour les exportations. Les agriculteurs qui dépendent de leurs ventes à l’étranger apprécieront.
Il y a néanmoins une cohérence à tout cela : avec un discours aussi éloigné de la réalité, les conversions subites, les revirements inexpliqués n’ont guère d’importance. Ce qui compte, c’est de dire à des électeurs en colère (ils ont des raisons de l’être) ce qu’ils veulent entendre sur le moment. Une fois au pouvoir, on avisera…