Le droit de choisir sa fin

par Laurent Joffrin |  publié le 11/03/2024

Aboutissement d’un long combat pour le droit de « mourir dans la dignité », la réforme proposée au Parlement par Emmanuel Macron, au-delà des circonstances politiques, est surtout l’application rationnelle d’un principe de liberté.

Laurent Joffrin

On peut bien sûr accuser Emmanuel Macron de manoeuvre politique, de calcul électoral : ce n’est peut-être pas tout à fait faux. En multipliant les gestes mémoriels et en poussant l’inscription du droit à l’IVG dans la constitution, puis, depuis dimanche, le projet de légalisation de « l’aide à mourir », le président espère sans doute compenser auprès des électeurs de gauche, par des « réformes sociétales », les reculs sociaux par lui décidés, sur la retraite, le chômage ou l’immigration. Ainsi compte-t-il sans doute grappiller à gauche ces voix qui lui échappent, pour réduire dans les élections européennes le retard de la liste Renaissance sur celle du Rassemblement national.

Mais on aurait grand tort de s’arrêter là : il s’agir aussi d’une décision majeure pour le pays. L’instauration du « suicide assisté », complété par une « exception d’euthanasie », marque une date dans la longue histoire de la « fin de vie » en France : elle donne aux citoyens – qui y sont massivement favorables – un droit supplémentaire, celui de choisir leur mort dans le cas tragique où ils seraient confrontés à un mal incurable accompagné de souffrances qu’ils jugeraient insupportables. En décidant de faire évoluer la législation, c’est ainsi une liberté nouvelle qui sera offerte à ceux qui choisiront, en toute connaissance de cause, de « mourir dans la dignité ».

Coalition

La chose n’allait pas de soi et l’on verra à coup sûr se lever contre ce progrès de l’émancipation individuelle une large coalition de forces conservatrices, à peu près la même qui s’est opposée bec et ongle au PACS, puis au « mariage pour tous » : les églises presque toutes coalisées, la presse conservatrice, du Figaro à Valeurs Actuelles, en passant par la majorité de la droite et de l’extrême-droite. À ce refus traditionnel s’ajoutera celui d’une partie des médecins, notamment ceux qui estiment que le développement des soins palliatifs suffirait à soulager les souffrances incriminées.

Certains fustigeront le « basculement civilisationnel » ou la « rupture anthropologique » que provoquerait la réforme, argument flou à souhait qui ne se vérifie dans aucun pays où la législation a évolué. Croit-on sérieusement que la Belgique, la Suisse ou le Portugal aient soudain versé dans la décadence ou la perte de toute valeur morale depuis qu’ils ont mis en œuvre les changements redoutés par une petite minorité du peuple français ? Dans 95 % des cas, la réforme ne changera strictement rien à ce tête-à-tête avec la mort qui est le lot de tout être humain. Seuls seront concernés ceux qui entreront dans la triste catégorie des victimes d’un mal terrible, cruel et à court terme inéluctable. Et, en tout état de cause, ils garderont par définition la liberté de ne pas recourir à cette aide, de même que seuls les médecins volontaires prêteront aux mourants qui le voudront cette ultime assistance.

D’autres diront que « tuer n’est pas soigner », invoquant, pour souligner leur propos, les attendus de l’antique serment d’Hippocrate. Pur sophisme en réalité : ce n’est pas l’accompagnement des mourants qui tue, c’est la maladie. Et dans cette circonstance tragique, la mise à la disposition des patients de cette aide à une mort plus apaisée apparaît surtout comme un « dernier soin » proposé aux personnes concernées, condamnées sinon à une souffrance insurmontable.

Projet prudent

D’autres enfin s’inquiéteront des « dérives » qu’ils voient se profiler derrière l’instauration de cette liberté suprême. Or le projet reste au vrai fort prudent : il admet le « suicide assisté » (le geste létal est alors pratiqué par la personne), mais proscrit toujours l’euthanasie (le même geste, administré par un tiers soignant), sauf dans le cas rare où le patient est physiquement incapable de mettre en oeuvre lui-même sa décision (c’est « l’exception d’euthanasie »).

Aussi bien, les précautions les plus strictes seront prises pour garantir au patient une décision « éclairée et réitérée », assortie d’un encadrement médical et d’un délai de réflexion propre à confirmer sa volonté clairement exprimée et formée en toute conscience. Les partisans d’une autonomie plus large des patients y verront même – telle l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD), dont les arguments sont fort éloquents – un progrès insuffisant. Nous sommes là, on le voit bien, très loin d’une simple manœuvre politique et, sous cet angle, la réforme est surtout l’application rationnelle du principe de liberté qui anime nos démocraties adultes.

Laurent Joffrin