Le flop des mots, le toc des photos

par Laurent Joffrin |  publié le 23/12/2023

Chaque dimanche, un regard engagé sur une semaine d’actualité. Que retenir dans le flot d’informations qui inonde les médias, entre écume des jours et vague de fond ? L’essentiel

Laurent Joffrin- Photo JOEL SAGET / AFP

Lundi – Régime des partis ?

Il me revient, au spectacle des affres du macronisme négociant avec la droite sa loi sur l’immigration quelques souvenirs de mes cours de Sciences Po sur le scrutin proportionnel. Affligé d’une majorité relative à l’Assemblée, Emmanuel Macron abandonne en rase campagne ses promesses d’équilibre pour faire passer son texte et doit accepter les exigences d’un parti LR qui vaut à peine 5% dans une élection nationale.

Du coup le projet initial est défiguré et la petite escouade de la droite classique impose ses vues, largement calquées sur celles du RN.

Ceux qui réclament une proportionnelle intégrale et fustigent le 49-3 doivent y réfléchir. Dans une assemblée émiettée par la proportionnelle, les mêmes causes produiront les mêmes effets.

Les petits partis qui feront l’appoint dans une coalition disparate jouiront d’une influence très supérieure à leur poids démocratique. Les électeurs qui auront voté pour le parti le plus important le verront jeter par-dessus les moulins ses convictions pour trouver une majorité et gouverner. Je songe aux philippiques du général de Gaulle contre « le régime des partis » qu’il jugeait impuissant en période de crise.

Avait-il tort ? Si proportionnelle il y a, en tout cas, elle devra être assortie d’un mécanisme propre à dégager des majorités stables. Sinon les palinodies qui ont émaillé le vote du projet immigration deviendront la norme. 

Mardi – Ministres inconséquents

Qu’est-ce la « gauche macronienne » ? Un souvenir, un ectoplasme, un espoir évanoui. En entérinant les exigences de la droite dure en matière migratoire, Emmanuel Macron a prononcé sa disparition, telle une illusion perdue. Ces ministres issus de la gauche réformiste avaient cru qu’ils auraient leur place au banquet du pouvoir. Mais face à l’opportunisme du président et à l’influence croissante des Lemaire et Darmanin, ils ne pèsent que leur poids, qui n’est pas lourd. Six ou sept ont menacé de démissionner ; un seul l’a fait, Aurélien Rousseau, rare exemple de courage politique. Leçon toute simple de ce reniement : quand on se dit de gauche, il faut rester avec la gauche.  Ou y revenir.    

Mercredi – L’appel d’air Meloni

Au moment où la France restreint les droits des migrants pour éviter tout « appel d’air », la cheffe du gouvernement italien annonce qu’elle autorisera plus de 400 000 nouveaux travailleurs immigrés à s’installer en Italie. Elle a toutefois rejeté les demandes du patronat qui en demandait 800 000. Il est des moments où la réalité sociale et économique s’impose, même aux dogmes de l’extrême-droite.

Jeudi – Arrêter Israël ?

Malgré les pressions internationales, l’armée israélienne continue de pilonner Gaza, répandant le malheur dans la population palestinienne. Les États-Unis admonestent amicalement Netanyahou, les Européens protestent, l’Égypte, la Jordanie, voisins qui se méfient des Palestiniens, ferment les yeux sur leur sort, les pays du Golfe se font discrets : personne, au-delà des mots, ne veut prendre les moyens d’arrêter Israël. La vérité, c’est que ces États font de la realpolitik.

Aucun n’a intérêt, pour des raisons diverses, à voir le Hamas gagner la partie. Tous, in petto, craignent la contagion d’un islamisme soutenu par l’Iran. Tous, sans le dire, souhaitent son écrasement militaire. Le martyre de Gaza n’est pas fini…

Vendredi – Feu Paris-Match

Triste chute de Match, naguère référence de la presse nationale. À quelques jours de Noël, l’hebdomadaire continue sa descente aux enfers du journalisme sous influence. Entre la reconstruction de Notre-Dame, la réapparition du jeune Alex Batty,  et l’élection d’une Miss France atypique, les sujets ne manquaient pas cette semaine, qui auraient donné à sa couverture « le poids des mots et le choc des photos ».

Las ! L’obsession dévote de Vincent Bolloré a imposé en Une la photo de la crèche qui décore un lieu par lui subventionné ! Voilà le magazine glorieux de Roger Théron transformé en bulletin paroissial. Le flop des mots, le toc des photos.

Samedi – Au secours de Trump

La Cour suprême des États-Unis a refusé de se prononcer sur les demandes l’inéligibilité formulées contre Donald Trump en raison de son comportement pendant l’assaut du Capitole. L’ancien président peut ainsi espérer que son procès sera repoussé après l’élection de novembre prochain. Ainsi les gardiens de l’état de droit accroissent les chances de réélection de celui qui ne rêve que de l’abolir.            

Laurent Joffrin