Le « Front populaire » ne se signe pas sur un coin de table
En février 1934, l’aspiration de gauche débouchait sur le plus vaste mouvement social et politique du XXe siècle. Aujourd’hui, Ruffin et Faure préparent à huis clos un accord d’appareils
Quoi de commun entre une coalition électorale de gauche réunissant des millions de personnes et majoritaire pour la première fois à l’AN sous la IIIe République et un resucé de Nupes sous la conduite éclairée de M. Ruffin ? Probablement pas grand-chose. C’est pourtant la nouvelle adaptation qui se joue, alors que la gauche européenne venait d’obtenir un succès d’estime par le biais de Raphaël Glucksmann. La maison socialiste tremble à nouveau entre convictions d’un côté et calculatrices de l’autre. Chez Olivier Faure, le second volet compte davantage que le premier. Toujours. Pourtant, les militants du PS et de PP qui ont mené campagne savent ce qui leur a été dit par les électeurs, à Montpellier comme ailleurs : « Ah enfin, on vous revoit ? Vous nous promettez, hein, c’est fini avec Mélenchon ? ». Messieurs Faure, Jouvet et leurs stratèges les ont-ils seulement entendus en dehors de vouloir sauver un strapontin dans le Val de Marne ?
Certes, l’Histoire est à la porte et elle nous regarde. Mais va-t-on combattre le nationalisme avec Rima Hassan et Mathilde Panot ? Va-t-on dénoncer en cœur la « laïcité agressive » contre le libre choix du port de l’abaya à l’école publique ? Va-t-on faire campagne pour une solution à deux États au Proche-Orient en épousant l’idée que le Hamas est une charmante organisation de résistance ? Va -t-on mettre fin à la « brutalisation de la vie politique, aux fake-news et aux anathèmes » avec J-L M et ses lieutenants, alors qu’ils s’égosillaient dès dimanche soir à entonner « Non, Glucksmann n’est pas notre camarade » ? Les réponses sont évidemment dans les questions et elles seraient volontiers ironiques si la situation n’était pas si tragique.
À la manière d’un Guy Mollet, qui liquida pratiquement la SFIO en son temps, Olivier Faure écrase ce qui reste du Parti socialiste avec méthode. Avec lui, il est toujours temps de se soumettre aux Insoumis, lorsque c’est pour tuer dans l’œuf le renouveau social-démocrate. Une fois, il s’agit de constater le rapport de force d’un à dix, une autre fois, c’est parce que le fascisme est à nos portes, une autre fois, il s’agit d’écarter ses opposants internes, mais la conclusion est toujours identique. Demain, il battra la campagne pour réclamer le retour uniforme à la retraite à 60 ans, la régularisation de tous les sans-papiers, le maintien des régimes spéciaux, l’augmentation du point d’indice fois dix pour 5 millions de fonctionnaires et un pavillon à Vincennes pour tous si la mesure venait aux oreilles de Manuel Bompart.
La réalité est pourtant têtue. Raphaël Glucksmann a fait renaître un espoir à gauche en s’adressant à l’intelligence des gens, en défendant un horizon européen et en dessinant quelques priorités fondamentales, dont la lutte non négociable face aux dictatures. Il ne s’est pas laissé aller à la démagogie qui abîme la démocratie et nourrit ses ennemis. De Front populaire, on cherche en vain Blum. On trouve effectivement Thorez, celui d’avant 1934, les dérapages antisémites en moins.