Le gourou du cru est cuit
Thierry Casasnovas, star du « crudivorisme », a été placé en garde à vue. Naturopathe tout terrain, il assurait qu’en se nourrissant exclusivement d’aliments crus, on pouvait guérir la dépression, le diabète ou le cancer. Après quelque 600 signalements auprès de la Miviludes (la mission chargée de lutter contre les dérives sectaires),
À l’aide de vidéos diffusées sur You Tube, il avait drainé des centaines de milliers d’abonnés, à qui il conseillait d’abandonner les traitements reconnus au profit de la consommation à haute dose de carottes non-cuites, d’algues au naturel, de viande crue ou de produits fermentés, coupés par des jeûnes plus ou moins prolongés. Il vendait lui-même une partie de ces aliments miracles, ainsi que des appareils destinés à les préparer, délestant ses patients de sommes rondelettes, et expliquait que les carences ou les affaiblissements dont ils se plaignaient au bout d’un certain temps étaient des étapes normales dans la cure crudivore.
Il est désormais accusé d’exercice illégal de la médecine, d’abus de faiblesse, de pratiques commerciales trompeuses et de diverses infractions économiques et financières.
Problème réglé ? Banale mise hors circuit d’un de ces charlatans des médecines « alternatives » qui existent depuis toujours ? Certainement pas. Christian Gravel, préfet et président de la Miviludes, a révélé à cette occasion que le phénomène sectaire ne cesse de progresser en France. En six ans, explique-t-il, le nombre de saisines de la Miviludes a augmenté de 86% pour passer à plus de 4000 dans l’année, atteignant une ampleur inédite en France.
Trois facteurs expliquent cette croissance.
La crise sanitaire a déclenché une forte montée de l’irrationnel dans la société française ; on notera ainsi que Thierry Casasnovas, éclectique et prolifique, était devenu l’un des porte-parole les plus écoutés de la mouvance antivax.
L’angoisse écologique, poursuit Gravel, répand, elle aussi, une croissante inquiétude millénariste et libère les peurs venues du fond des âges.
Mais c’est surtout l’usage massif d’Internet qui facilite la prolifération des gourous autoproclamés et des influenceurs mabouls, qui changent la toile en hypermarché planétaire des théories et des pratiques les plus farfelues, en dehors de tout contrôle et de toute régulation. Cette gangrène, au-delà de la facilité technique, a une origine idéologique : le « populisme sociétal », qui tend à discréditer toute parole scientifique tenue par des autorités reconnues, au profit de la subjectivité « citoyenne ».
Le savoir vérifié est désormais qualifié de « science officielle » ou de « discours de l’élite », pour laisser la place aux thèses les plus baroques, colportées sur les réseaux en vertu d’une liberté d’expression mal comprise. Le tout au nom d’une forme de « démocratisme numérique », qui voudrait que l’expérience personnelle et la « parole citoyenne » l’emportent, par définition, sur celles des professionnels compétents et des autorités spécialisées. Répandu par des médias complaisants, le discrédit de la raison touche tous les secteurs de la société, jusqu’à la vie politique.
Casasnovas le gourou, séducteur dangereux des internautes crédules, n’est pas le énième représentant de ce folklore irrationnel qui vit depuis toujours en lisière de la société. Il incarne, bien au-delà des carottes crues et des algues bienfaisantes, l’une des pathologies majeures qui menacent la vie des démocraties.