Le jasmin a fané

par Boris Enet |  publié le 18/10/2024

Après la première révolution du monde arabe en 2011, le pays est revenu à l’autocratie et la négation des Droits de l’Homme. Une décennie pour rien ?

Une femme tient le portrait du président tunisien Kaïs Saïed le soir du résultat des élections, le 6 octobre 2024, à Tunis (Photo de Chedly Ben Ibrahim / NurPhoto via AFP)

Dix millions d’habitants, coincé entre deux ogres du monde arabe, l’Algérie et la Libye, la Tunisie a longtemps incarné les espoirs démocratiques du nord de l’Afrique suite à la chute du clan Ben Ali. Héritière d’un bourguibisme conservant une dimension progressiste, à travers la scolarisation obligatoire effective ou le droit des femmes dans une constitution laïque, on pouvait espérer meilleur sort pour un peuple éduqué dont la bravoure avait crevé l’écran en se débarrassant du grand ami de Paris et de sa ministre des affaires étrangères d’alors, Mme Alliot-Marie.

C’était sans compter les déboires de toute une région, incapable de sortir d’un huis-clos mortifère entre islamisme et dictature policière. Le scenario se répète partout, modifiant à la marge le rythme et les acteurs : Égypte, Algérie, Syrie… Les peuples de la région, du Maghreb au Moyen-Orient n’auraient d’autres choix qu’une dialectique macabre entre les prêches de Enharda, celles de l’AKP turque, des frères musulmans égyptiens, du FIS algérien d’un côté et Kaïs Saïed, Erdogan, Al-Sissi, Tebboune de l’autre.

La Tunisie possédait pourtant ses infrastructures touristiques, son patrimoine antique – mis à mal par Ben Ali – et sa grande proximité avec les plus latins de l’UE. Mais les attentats islamistes du musée du Bardo en 2015, la corruption endémique jamais stoppée de la bureaucratie toute puissante du RCD, puis de Nidaa Tounes, le désenchantement politique d’une population minée par les questions du quotidien et l’incompétence de sa classe politique ont anéanti les promesses de la révolution du jasmin.

Il y a douze jours, dans l’indifférence quasi générale, Kaïs Saïed était réélu avec un taux de participation famélique après un simulacre de campagne démocratique et près de 90% des suffrages. Négation des Droits de l’Homme, campagne raciste contre les migrants sahariens, assignation nouvelle des femmes à l’ordre patriarcal et coranique. Celui qui apparaissait en 2019 comme un gage de transparence et de probité aux yeux d’une majorité, s’est révélé dictateur du sérail, dans la continuité de ses prédécesseurs.

Accents antisémites à l’occasion du 7 octobre 2023, modification de la constitution à des fins coraniques, attaques contre le Conseil Supérieur de la Magistrature, arrestation d’opposants, dissolution du Parlement, l’ordre règne à la manière de Scipion Emilien lorsqu’il rasa Carthage.

Renforcé par le mémorandum de juillet 2023 avec la péninsule italienne, Saïed cultive jalousement son partenariat avec l’Italie de Meloni autour d’enjeux stratégiques énergétiques – électrique et plate-forme de transit gazier -, et d’un tour de vis migratoire dont les méthodes ne sont pas moins inhumaines celles du roi chérifien du Maroc.

A la manière d’Erdogan et de son chantage aux migrants, soudoyé par un carnet de chèques cynique venu d’UE, Saïed peut s’installer durablement au pouvoir sans craindre la moindre critique en matière de Droits de l’Homme et de démocratie. Elles ne viendront pas du Nord.

Boris Enet