Le JDD arraisonné

par LeJournal |  publié le 25/06/2023

Inquiétante, la nomination de Geoffroy Lejeune à la direction de la rédaction du JDD ? À tous égards.

Edition du JDD-Photo THOMAS OLIVA / AFP

À moins que l’ancien directeur de Valeurs Actuelles n’abdique de ses convictions, ce qui est peu vraisemblable, voilà le Journal du Dimanche, un organe jusque-là plutôt modéré dans ses positions, qui tombe dans l’escarcelle de l’extrême-droite par le simple jeu d’un rachat capitalistique.

Fondé en 1948 par Pierre Lazareff, le Journal du Dimanche a survécu grâce à sa qualité journalistique, en maintenant une position politique qui certes n’était pas de gauche, mais pratiquait une ouverture de bon aloi et se concentrait sur les informations exclusives et les entretiens politiques de toutes tendances.

Seul hebdo dominical, il détenait – avec le Parisien – un quasi-monopole sur l’actualité politique le dimanche et réunissait une audience plurielle d’environ 130 000 acheteurs, auxquels s’ajoutaient les lecteurs de son site quotidien. Sa réorientation à l’extrême-droite sous l’influence de Vincent Bolloré, si elle se confirme, est donc un événement politique.

Consciente de l’enjeu, la rédaction du JDD s’est mise en grève pour protester contre cet arraisonnement. Bien entendu, LeJournal.info exprime sa solidarité entière avec ces journalistes qui se battent pour l’honneur de leur métier. Non que l’extrême-droite ait moins le droit que d’autres courants à s’exprimer à travers des journaux qui la soutiennent.

Représentant plus d’un quart de l’opinion, ses idées ont droit de cité, tant qu’elles restent dans les limites de la légalité, quitte à susciter une vive critique de ses adversaires : c’est le jeu normal du pluralisme.

Mais dans le cas présent, il s’agit d’altérer brutalement l’identité d’un titre reconnu, au profit d’une opinion extrême, contre l’avis unanime de sa rédaction et par le pur effet de la force financière. Geoffroy Lejeune ne peut d’ailleurs l’ignorer. Il y a peu, il a été évincé par le propriétaire du journal qu’il dirigeait, Valeurs actuelles, alors même qu’il avait le soutien de sa rédaction. Et il arguait de cette adhésion – et de celle de ses lecteurs – pour résister à la pression de son actionnaire.

Le voici placé dans le rôle exactement inverse : il est imposé par les actionnaires du JDD – en fait par Vincent Bolloré – à une rédaction qui n’en veut pas et à des lecteurs dont les opinions politiques sont souvent différentes des siennes. Problème démocratique autant que politique…

On dira que les journaux sont des entreprises et qu’au sein d’une entreprise, l’actionnaire détient légalement le pouvoir de nommer les principaux cadres avec qui il veut travailler. À une nuance près : les journaux ne sont pas des entreprises exactement comme les autres. Ils concourent au fonctionnement de la démocratie et jouent un rôle civique en informant le public. Leur fonctionnement interne, leur équilibre, leur représentativité collective influent sur la vie publique. Cela justifie des règles particulières.

Pour cette raison, plusieurs d’entre eux, parmi les plus importants, ont choisi d’instaurer un équilibre entre le pouvoir des actionnaires et celui des journalistes. Les premiers s’occupent pour l’essentiel de la gestion, les seconds du contenu. Bien entendu, ils n’agissent pas de manière séparée : les journalistes donnent leur avis sur les grandes décisions de gestion ; les actionnaires exercent une influence sur les nominations, notamment celle de la directrice ou du directeur de la rédaction.

À Libération, au Monde et à l’Obs, pour prendre trois exemples connus, les actionnaires nomment le ou la responsable de la rédaction, mais cette désignation doit être ratifiée par un vote majoritaire au sein de l’équipe. Il est entendu, aussi bien, que l’actionnaire peut demander le départ d’un directeur si ses erreurs mettent en danger la survie économique du journal.

En tout état de cause, actionnaires et journalistes doivent agir dans le cadre d’une charte commune préalablement rédigée, qui définit la ligne éditoriale, les règles de traitement de l’information et les rapports avec le marché publicitaire. Ainsi ces trois journaux ont trouvé un équilibre de pouvoir qui leur permet de conserver leur identité et leur indépendance, tout en assurant leur pérennité d’entreprise.

Ce modèle peut-il être généralisé ? Faut-il s’en inspirer pour modifier la législation qui s’applique à la presse ? Ce serait l’objet de longs développements. Mais voilà qui fait contraste avec la situation qui risque de prévaloir bientôt au Journal du Dimanche…

Lire la pétition signée par les lecteurs de notre quotidien lejournal.info

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