Le jour d’après Netanyahou

publié le 28/05/2024

À l’heure où l’armée israélienne poursuit son offensive à Rafah et où la CPI met en cause des dirigeants israéliens et du Hamas, le Collectif Télémaque lance, dans nos colonnes, un appel urgent en faveur d’élections anticipées en Israël

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu lors d'un rassemblement du parti Likoud à Ramat Gan, Tel Aviv, Israël -Photo Artur Widak/NurPhoto

Les attaques du Hamas et de leurs alliés, le 7 octobre 2023, ont rappelé s’il en était encore besoin que le terrorisme islamiste continue de frapper partout, et toujours avec la même barbarie. Ces attentats sans précédent sur le sol israélien – tant par le nombre de victimes (six fois plus de victimes civiles que les attentats du 13 novembre 2015 à Paris pour une population israélienne sept fois moins importante que la population française) que par les procédés employés (tortures et viols diffusés en direct sur les réseaux sociaux, centaines d’otages) – revêtent non seulement une dimension traumatique pour les Israéliens, mais aussi une dimension universellement tragique, tant l’histoire du peuple juif et celle du conflit israélo-palestinien semblent entraînées dans un cycle de violences sans fin.

Si la réponse militaire israélienne était attendue, et sans doute même espérée par les organisateurs des massacres du 7 octobre, son caractère massif et indiscriminé, à la fois par le nombre de victimes civiles et le non-respect des principes humanitaires élémentaires, enferme Israël dans un piège qui pourrait conduire à une escalade régionale. Loin d’atteindre les objectifs d’éradication du terrorisme qu’ils s’étaient fixés, Benyamin Netanyahou et son gouvernement se sont lancés dans « une guerre sans fin qui devient sa propre fin », pour reprendre les termes d’Ami Ayalon, ancien chef du Shin Bet, dans Le Monde du 24 janvier 2024.

Le Premier ministre israélien, enferré dans une logique personnelle de survie politique et judiciaire – alors qu’il est accusé de fraude, d’abus de confiance et de corruption – justifie son maintien au pouvoir et cette fuite en avant militaire par la nécessaire sécurisation de son pays. Pourtant, force est de constater que sa politique de défense, dont il se faisait le parangon, est un échec sur toute la ligne : il a été incapable de garantir la sécurité territoriale d’Israël, de déjouer les attentats du 7 octobre, de négocier un cessez-le-feu durable, de libérer les125 otages toujours détenus à Gaza, et encore moins d’éradiquer le Hamas… Pire, il a augmenté le risque d’une régionalisation du conflit (au Liban et en Iran notamment) ; il a paradoxalement redoré le blason du Hamas, en Palestine et dans une grande partie du monde ; et très largement dégradé l’image d’Israël sur la scène internationale comme en témoignent les nombreuses manifestations de soutien au peuple palestinien à travers le monde, auxquelles se greffent, en se délectant de la situation, ses ennemis historiques.

Au sein même du pays, la population, toujours plus nombreuse, manifeste contre le gouvernement de Netanyahou dont la popularité n’a jamais été aussi basse dans les sondages d’opinion. Les manifestants, qui protestaient hier contre une réforme judiciaire controversée, contre des coupes dans les services publics ou des réformes favorables aux religieux, se rassemblent désormais pour demander le retour des otages et pour « Des élections maintenant ! ». Le calendrier actuel, qui prévoit des élections en novembre 2026, n’est plus tenable, comme le considère la grande majorité des Israéliens selon un récent sondage de l’Israël Democracy Institute.

Au fond, la séquence qui s’est amorcée le 7 octobre 2023 a ouvert les yeux de nombreux Israéliens sur la dangerosité du maintien de Benjamin Netanyahou au pouvoir. Non seulement ce dernier a contribué à miner les politiques sociales de l’État providence israélien, non seulement celui-ci a favorisé une conception identitaire de l’État d’Israël contre la minorité arabe israélienne, non seulement il a privilégié une approche religieuse de l’État contre une approche laïque et moderne, non seulement il a conçu un pouvoir à son seul profit pour éviter de répondre à la justice de son pays, non seulement il a voulu affaiblir l’institution judiciaire et les contre-pouvoirs, mais surtout il n’a pas su assurer la sécurité du pays, en faisant des choix stratégiques hasardeux, au profit d’une sécurisation des colonies en Cisjordanie ou d’une alliance de facto avec le Hamas dans le but d’affaiblir l’Autorité palestinienne.

Il est donc temps de mettre fin à cette course à l’abîme qui n’a que trop duré et qui ne profite ni aux Israéliens ni aux Palestiniens. La solution à deux États, respectant chacune des parties, est à construire. Elle demandera certes des efforts de part et d’autre, mais elle n’est pas impossible. Ou plutôt : il n’y en a pas d’autre possible. Une main doit être tendue vers tous les acteurs palestiniens et les pays arabes de la région qui partageront un tel objectif, mais elle ne peut pas l’être par le gouvernement Netanyahou, désormais disqualifié. Dans l’immédiat, celui-ci doit tomber le plus tôt possible. À l’issue de nouvelles élections, un gouvernement au spectre large, rassemblant la gauche, le centre, mais aussi la droite démocratique et les partis arabes qui le souhaiteront, sur le modèle du gouvernement Bennett-Lapid (2021-2022), doit permettre de frayer cette voie de compromis et de reconstruction, afin de panser les plaies et de se projeter vers un avenir meilleur. 

À l’heure où le procureur général de la Cour pénale internationale a soumis une requête en faveur d’un mandat d’arrêt international pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité à l’encontre des dirigeants du gouvernement israélien et du Hamas, et où l’armée israélienne poursuit son offensive à Rafah, cet espoir ne sera possible que lorsque seront chassés du pouvoir les ennemis de la paix qui continuent d’œuvrer dans les deux camps.

Le Collectif Télémaque regroupe une trentaine d’universitaires, de cadres de la fonction publique et du secteur privé. Il a publié La Gauche du réel. Un progressisme pour aujourd’hui (L’Aube, 2019).
Pour le Collectif Télémaque, Baptiste Bondu-Maugein, Benjamin Rotenberg, Philippe Sabuco, membres du bureau.