Le lanceur d’alerte

par Boris Enet |  publié le 09/11/2024

Tandis que les socialistes et la gauche sont englués dans un débat surréaliste pour savoir s’il faut rompre avec une organisation devenue, peu ou prou, aussi dangereuse que le RN, le député européen multiplie les alertes et fait de la politique.

Raphaël Glucksmann au Parlement européen à Strasbourg, le 9 octobre 2024 (Photo de Frederick Florin / AFP)

Vendredi 8 novembre, sur France Inter, le dirigeant de Place Publique s’autorisait des métaphores osées, comparant possiblement la situation de l’UE avec celle de la Tchécoslovaquie en 1938. On peut discuter la formule, mais la lente détérioration des rapports de force, accélérée depuis ce sinistre 6 novembre, concourt à son jugement.

Bataillant pour une réindustrialisation pensée à l’échelle du continent, aspirant à un emprunt de 100 milliards pour des commandes d’armement européen et la fin du numéro de solo dont Scholz porte une responsabilité écrasante, Raphaël Glucksmann loue le comportement du gouvernement polonais.

Revenu de l’expérience nationale catholique et populiste, la Pologne d’aujourd’hui a effectivement pris la mesure du danger. On peut lui reprocher son atlantisme réducteur, elle n’a en réalité d’autre alternative pratique. De par l’histoire et son positionnement géographique, elle a saisi le péril en actant une augmentation drastique de son budget de l’armement.

L’ancien président du conseil européen Donald Tusk, actuel président du conseil polonais offre ainsi un contre-point saisissant face aux effets de manche de dirigeants aux tribunes des sommets, dans l’incapacité d’honorer leurs livraisons d’armes à l’Ukraine ou d’affronter fermement la cinquième colonne du continent, emmenée par le premier ministre hongrois, Victor Orban.

Un peu esseulé à Strasbourg, auditionnant la valse des commissaires aux affaires étrangères, Glucksmann a le mérite d’ouvrir un autre chemin à une gauche française, péniblement engluée dans ses calculs de boutiquiers alors que l’Histoire frappe à la porte.

La législative partielle en Isère semble, en effet, bien peu de chose à côté de la bascule internationale opérée, surtout lorsqu’il s’agit in fine, de toujours capituler face à LFI et son chantage électoral. L’Histoire est ainsi faite, qu’à l’occasion des grandes crises, elle révèle des hommes de tous horizons à la hauteur des périls, quand d’autres n’envisagent l’avenir qu’au microscope de leur circonscription, quitte à en perdre leur âme.

Là où la farandole des munichois, de gauche et de droite, se précipite désormais sur les plateaux pour s’émerveiller du génie politique d’un peroxydé revenu de tout, capable d’emporter l’adhésion à coup de corruptions, d’obscénités et d’insultes racistes, Glucksmann maintient le cap clair d’une gauche dont l’horizon vital est l’Europe. Une ligne Maginot autrement plus efficiente que la nation millénaire pour défaire le protectionnisme trumpiste ou l’agressivité commerciale chinoise.

Là ou Ruffin, convalescent de sa rupture insoumise, plaide pour le carcan national face aux même maux, Glucksmann poursuit le vieux rêve des Etats-Unis d’Europe, menacé sur plusieurs fronts, parce qu’il ne vit pas le sort des Ukrainiens, des Géorgiens ou des Moldaves comme extérieur au nôtre, mais partie intégrante de ce qui nous fonde désormais depuis des décennies.

Nul ne sait qui l’emportera à terme entre ces deux paradigmes, vieux comme la gauche et l’histoire de l’émancipation, mais face à la défaite intellectuelle à l’œuvre, de celle qui prépare souvent les grands drames, un homme bénéficiant d’une tribune médiatique justement acquise, se sera levé et aura averti. L’Histoire retient ceux-là.

Boris Enet