Le magnat, les médias et l’empire

par Bernard Attali |  publié le 05/09/2023

Havas, Editis, le JDD, l’Écume des pages… et si nous regardions dans le rétroviseur ?

Cela se passait au tout début des années 1930, dans une Allemagne traumatisée par la défaite de 1918. Le pays avait alors à sa tête un chancelier libéral, pro-européen, de centre droit, Heinrich Brüning. Confronté aux premières retombées économiques de la grande crise de 1929, Brüning dut prendre des mesures d’austérité impopulaires. Pour contourner le blocage parlementaire, il gouverna par décrets – lois en vertu de l’article 48 de la Constitution.

La droite se déchaina. Le chef des réactionnaires, les « nationaux-conservateurs » Alfred Hugenberg, un riche industriel, ancien directeur de Krupp, consacra alors sa fortune à construire un empire médiatique. Il fit main basse sur la moitié de la presse écrite, l’agence télégraphique nationale, la principale firme cinématographique et de nombreuses radios.

Fort de ce redoutable outil d’influence, il réussit à imposer une « union des droites », le « front de Harzburg ». Celui-ci intégra le petit parti d’Hitler, contribuant à vendre le national-socialisme au patronat et au monde de la finance. Effet spectaculaire : de 12 sièges, le Parti national socialiste passa à 107 !

Conscient du danger, mais un peu tard… Brüning voulut alors dissoudre la milice privée de cette faction d’extrême droite, les SA de sinistre mémoire. En réaction, le président Hindenburg le renvoya et, après dissolution du Parlement, procéda à de nouvelles élections. Résultat : 230 sièges (le premier groupe du Parlement) aux nazis et le triomphe d’Hitler.

Tout ça vous rappelle quelque chose ? Une politique d’austérité qui exacerbe les inégalités ; des décrets-lois passés au forceps ; un chef d’entreprise qui s’empare des médias pour imposer ses vues d’extrême droite… Bon, arrêtons de se faire peur. Le pire n’est jamais sûr. Mais quand même…

Comme l’a dit un grand auteur : « on ne sait jamais ce que vous réserve le passé ».

Bernard Attali

Editorialiste