Le Maire : le Judas de Bercy

par Laurent Joffrin |  publié le 10/04/2024

Le ministre des Finances dénonce le laxisme budgétaire qu’il a lui-même organisé depuis sept ans à Bercy. Un retournement de veste qui annonce une candidature à l’Élysée, au grand dam des macroniens.

Laurent Joffrin

Étonnant phénomène, qui défie les lois de la physique autant que de la politique : plus de déficit du pays se creuse, plus la tête du ministre des Finances enfle. L’homme de Bercy, désormais, ne fait plus mystère de devenir un jour celui de l’Élysée, candidat à peine officieux au fauteuil d’Emmanuel Macron. Il est vrai qu’il a trouvé un rôle à la mesure de son ambition, celui du Père-la-rigueur, auto-proclamé sauveur d’un pays miné par la dette et les impasses budgétaires. Il n’a plus de mots assez durs, désormais, pour stigmatiser le laxisme de son prédécesseur, coupable d’abord laissé le déficit filer dans les abysses, avec un montant qui dépasse les 5 % du PIB. Avec cette légère contradiction, qu’il considère d’un regard serein : son prédécesseur, c’est lui.

Si l’on en croit Le Figaro, le président le lui a fait remarquer le 20 mars dernier, après l’avoir écouté prêcher pour une réduction drastique des dépenses : « Bruno, ça fait quand même sept ans que tu es là ». Le sapeur Camember, selon ce classique de la BD satirique, creusait des trous pour en boucher d’autres. Le Maire marche dans les pas de ce célèbre troufion, avec une variante temporelle : il opère sur le même trou, qu’il creuse d’abord pour se donner ensuite le mérite de le reboucher.

Subterfuge

Observant ce subterfuge quelque peu voyant, les macroniens le soupçonnent de préparer sa sortie du gouvernement pour se lancer ensuite dans la course élyséenne, fort de sa nouvelle réputation de redresseur putatif des comptes publics, séduisant ainsi un électorat conservateur qui lui fournirait sa base politique. On murmure même qu’il a déjà fait élargir les portes de son ministère pour que sa tête soudain dilatée puisse les franchir sans encombre au jour de son départ.

Il a de qui tenir : c’est souvent la double posture adoptée par la droite française, qui accroît les déficits quand elle est au pouvoir mais fustige le laxisme budgétaire dès qu’elle passe dans l’opposition. On le vérifie en jetant un œil sur l’historique des finances publiques depuis vingt ans. On s’aperçoit alors que Sarkozy et Macron sont les principaux responsables du dérapage budgétaire du pays, qu’Hollande a péniblement ramené au-dessous des 3 % exigés par les traités européens, en y perdant au passage sa popularité. Ce qui n’empêche pas la droite de dénoncer mécaniquement l’impéritie gestionnaire de la gauche.

Déjà mal en point sur toutes sortes de dossiers, à la traîne dans les sondages pour le prochain scrutin européen, les macronistes sont maintenant menacés d’un schisme qui verrait le ministre des Finances démissionner pour se changer en candidat à la succession d’Emmanuel Macron. Pour bien marquer sa différence, il se ferait alors le procureur de la politique qu’il a menée à son poste depuis 2017. On peut comprendre l’agacement du président, qui avait convaincu Le Maire de trahir la droite pour le rejoindre, et qui voit son ministre faire le chemin inverse, trahissant la macronie pour rejoindre la droite. Ce n’est plus la tactique du sapeur Camember, mais celle d’un Judas à répétition.

Laurent Joffrin