Le mensonge décolonial

par Laurent Joffrin |  publié le 04/11/2024

En mettant sur le même plan l’obligation iranienne de porter le voile en public et son interdiction au sein de l’école française, les « décoloniaux » se moquent du monde.

Manifestation des gilets jaunes et cortège antifa. Nantes - 19 janvier 2019 (Photo by Jérémie Lusseau / Hans Lucas via AFP)

Les ravages cognitifs engendrés par l’idéologie décoloniale viennent de se manifester une nouvelle fois. À l’université Azad de Téhéran, Ahou Daryaei, étudiante iranienne, apparaît en sous-vêtements sur le campus pour protester contre l’obligation de porter le voile islamique en public ; elle est arrêtée et maltraitée par les agents de la police des mœurs. À Paris, la députée Sandrine Rousseau publie le tweet suivant : « Notre corps, et tout ce que l’on met – ou pas – pour le vêtir, nous appartient. Force aux Iraniennes, aux Afghanes, à toutes celles qui subissent l’oppression ».

Ce tweet appelle un double commentaire : au moins, l’écologiste a le réflexe de condamner sans ambages l’oppression obscurantiste en vigueur en Iran, à la différence tant de leaders de la gauche radicale, éloquemment muets sur l’incident. Mais c’est la première phrase du tweet – « notre corps et tout ce qu’on met – ou pas – pour le vêtir » – qui attire l’attention. En fait, la députée englobe dans la même formule celles qui refusent (en Iran) de mettre un vêtement religieux et – allusion transparente – celles qui (en France) veulent se vêtir d’un voile islamique à l’école.

Symétrie volontaire : ainsi sont mises sur le même plan la législation iranienne, qui punit d’une peine d’emprisonnement de dix jours à deux mois celles qui refusent de porter le voile islamique en public, et la loi française, qui oblige les élèves à ôter leur voile dans l’enceinte de l’école. Pur sophisme en fait. Comment comparer des peines de prison d’un côté, souvent assorties de mauvais traitements, et le simple renvoi chez elles des jeunes filles qui persistent à porter cet insigne religieux ostensible en classe ? Comment, sans une insigne mauvaise foi, faire un parallèle entre Mahsa Amini, arrêtée par la police des mœurs et morte pendant sa garde à vue, le 16 septembre 2022 – meurtre qui fut à l’origine du mouvement « Femme, vie, liberté » – et le sort une jeune fille hors-la-loi qui n’encourra d’autre sanction que de devoir se tourner vers une école confessionnelle pour garder son voile ?

C’est confondre volontairement une féroce répression policière d’un côté et, de l’autre, une contrainte née de la laïcité, limitée aux établissements scolaires et sanctionnée par une simple interdiction de paraître. Rappelons qu’en France, le port du voile islamique dans la rue est parfaitement licite et que seule la dissimulation du visage est interdite, pour des raisons de sécurité. À l’inverse, en Iran, les jeunes femmes qui refusent de le porter risquent leur vie.

D’où vient cette confusion mentale ? Du dogme décolonial. Cette théorie ethniciste, en effet, assimile la minorité musulmane à une population colonisée, dont le premier droit serait d’affirmer haut et fort son identité, culturelle ou religieuse. Quand bien même cette identité, réinterprétée par les islamistes, la mettrait en opposition frontale avec les principes de la laïcité, qui sont pourtant la garantie de la liberté de conscience et de culte pour toutes les religions. Quand bien même cette identité sacralisée impliquerait la soumission des femmes.

L’école ne veut pas de prosélytisme religieux en son sein et proscrit les signes religieux ostensibles ? C’est donc qu’elle est « coloniale ». On voit ainsi les féministes intersectionnelles, ou décoloniales, lutter pour le voile à l’école, c’est-à-dire pour un attribut vestimentaire qui symbolise, dans tout le monde musulman, la nécessaire subordination des femmes à l’ordre patriarcal, celui-là même qu’on dénonce par ailleurs en Occident. Telle est la fière incohérence décoloniale, qui confond vessies islamistes et lanternes laïques, qui met un signe égal entre la paille démocratique et la poutre théocratique.

Laurent Joffrin