Le mystère Pap Ndiaye
Insaisissable, notre ministre de l’éducation. Trop intello, enfant de chœur en politique, discret jusqu’à l’effacement ? Lui glisse, insensible aux critiques, et agit, en évitant de réveiller le « Mammouth ». Une énigme, on vous dit
La semaine dernière, Pap Ndiaye, ministre de l’Éducation depuis la réélection du président Macron, a justifié une sanction disciplinaire contre deux professeurs de philosophie convaincus de « propos complotistes, injurieux, d’une très grande violence ». Cette vigoureuse déclaration témoigne d’une position claire sur le terrain toujours glissant de la liberté d’expression.
Dans le même temps, il peut fâcher sur l’épineux sujet de la laïcité après un élargissement des missions du Conseil des Sages de la laïcité et des valeurs de la République par des nominations contestées, dont celle du politologue Alain Policar, le même qui, en 2019, avait critiqué ceux qui font… « de la laïcité une arme contre la religion ». Paradoxe?
Une chose est sûre, depuis son arrivée rue de Grenelle, le ministre, chercheur en sciences sociales et intellectuel de renom, se révèle plus mystérieux qu’il n’y paraissait à première vue. Au commencement était le verbe macronien et le signal détonnant envoyé par un jeune président nouvellement réélu.
En n’hésitant pas à nommer à un poste clef du gouvernement, l’éducation nationale – le fameux «Mammouth » déclaré ingérable – un enfant de chœur de la politique gouvernementale à la fois peu suspect d’engagement à droite et tranchant de manière déterminante avec l’héritage de son prédécesseur, le sulfureux Jean-Michel Blanquer. Avec Pap Ndiaye, pas de risques de vAcances à Ibiza en plein protocole sanitaire.
Était-ce annoncé ou désiré ? Une partie de la droite et de l’extrême-droite dénoncèrent immédiatement le choix d’un ministre « wok » et décolonial, même si on ne trouve rien de tout cela dans les nombreux travaux du concerné. L’extrême droite lit peu.
Spécialiste d’histoire sociale et des minorités, auteur d’un livre important sur la question noire, fin observateur de la comparaison entre la vie des idées en France et aux États-Unis, auparavant nommé à la tête du Musée de l’immigration – frère au demeurant d’une écrivaine talentueuse et discrète, elle aussi, Marie Ndiaye, prix Femina en 2001 et prix Goncourt en 2009 — , Pap Ndiaye, 57 ans dont pas mal d’années d’études pointues, s’est plutôt illustré par son sens de la mesure. Question de tempérament.
S’il s’est déclaré au fil du temps intéressé par un usage positif des statistiques ethniques et par la tenue de débats sur la discrimination positive, il s’est aussi opposé à la notion de racisme d’État. Tempéré donc, dans un monde académique qui se déchire davantage sur le sujet qu’il ne dialogue.
Ajouté à cela la foi d’un féministe, convaincu de la justesse des préoccupations environnementales, la critique ne fait que l’égratigner, il n’en a cure. Sauf quand ceux de son camp présumé — celui des enseignants — le prennent à partie pour avoir mis ses deux enfants à l’École alsacienne. Peccadille.
Mystérieux, Pap Ndiaye glisse. Sans donner prise aux critiques idéologiques frontales. Il apparaît, invariablement calme, ne négligeant aucune occasion de faire un peu de pédagogie historique, y compris lorsqu’il commente sur un plateau de France 3, la Une que Valeurs Actuelles vient de lui consacrer.
Le ministre a même obligé ses détracteurs — ou plutôt ceux d’Emmanuel Macron — à user d’une argumentation contrainte sur son absence présumée de poids politique, sa méconnaissance des arcanes de l’action publique, et le manque de connaissance technique du monstre administratif qu’il dirige. Presque un compliment.
On ne peut pas reprocher tout et son contraire aux hommes politiques : énarque, les voilà « technos » et déconnectés du terrain ; professeur, les voici « intellos » certes dotés de quelques idées, mais déclarés inaptes à la conduite de politiques publiques.
Lui, pourtant, ne ménage pas sa peine. On le suspecte de compter pour peu mais il enchaine les réformes sur le budget, l’évolution des programmes et la réforme des filières professionnelles. Il vient d’annoncer des mesures pour renforcer la mixité sociale et scolaire à l’école, un arsenal attendu depuis des mois et qui concernera à ce stade uniquement l’enseignement public. Il prend soin de de laisser Emmanuel Macron annoncer la hausse des salaires des professeurs et slalome en solitaire, avec une élégance et une habileté qui ne fait pas encore une politique.
S’il ne devait pas survivre à un futur remaniement, il sera alors facile de dire que sa nomination initiale n’était qu’un coup médiatique. Plouf. Dans le cas contraire, qui sait ce que nous réserve ce personnage ? Spectaculairement insaisissable.