Le Néron yankee est-il un tigre en papier ?

par Boris Enet |  publié le 05/04/2025

C’est en somme la réponse générée par l’Intelligence artificielle et diffusée par deux médias d’État chinois, CGTN et New China TV, contre les hausses douanières. Trump a beau aligner les mesures et les mensonges, les échecs s’empilent.

Donald Trump à l'aéroport International de Miami, le 3 avril 2025. (Photo de Mandel Ngan / AFP)

Trois mois viennent de s’écouler depuis l’élection de Donald Trump. Si l’on sort à peine de la sidération, et qu’un vent de contestation se lève désormais au cœur de la citadelle américaine avec « Hands off », les réalisations trumpistes se cognent toutes à la réalité, ajournant d’hypothétiques succès.

Économiquement, le remède de cheval censé protéger les intérêts américains et le rétablissement de la balance des paiements par le truchement d’un mur tarifaire de l’Atlantique et du Pacifique sont un fiasco. Les bourses plongent dangereusement, avec un risque de retrait des investissements, une panne brutale de la croissance américaine et ses répercussions mondiales et le renchérissement du coût de la vie des classes moyennes américaines, celles-là même prétendument ressuscitées par un protectionnisme nationaliste.

Non seulement les patrons de l’automobile américaine font de l’huile, mais les dirigeants du Nasdaq – indice des nouvelles technologies – accusent le coup bien davantage, dans un secteur où la volatilité est particulièrement marquée. Si Elon Musk a effectivement tranché dans les agences fédérales à coup de tronçonneuse, il a surtout fait dégringoler les commandes de Tesla en Europe, amorçant une forme de boycott spontané sur le marché de la voiture électrique au bénéfice de la République Populaire de Chine.

Ce n’est pas le moindre des paradoxes. À travers l’incurie d’un programme idéologique niant la réalité de la mondialisation et les imbrications du marché, Trump permet à la Chine d’assumer un rôle mondial formellement « progressiste et pacifié », en réaction. Empêtré dans un marché intérieur qui ne veut désespérément pas décoller, la direction chinoise trouve dans la politique de Washington une occasion inespérée de redorer son soft power.

Trump menace, mais il trouve face à lui des réponses presque coordonnées parce que la réalité de la production américaine ne génère guère plus que 20% de ce qui est produit à l’échelle de la planète. Vance et son cercle fascisant sont convaincus de pouvoir terroriser le monde comme au temps d’un impérialisme yankee conquérant, presque sans limite. Il n’en est rien. Même le Sénat américain a empêché la politique douanière décidée à l’encontre du Canada, avec le ralliement de quatre sénateurs républicains à la minorité démocrate.

L’addition est la même côté russe. Après la mise en scène volontairement odieuse du bureau ovale à l’occasion de la réception du président ukrainien, Zelenski, la promesse de la paix en 48h patine grotesquement. Non seulement Poutine n’est pas prêt à lui offrir sur un plateau, mais les Ukrainiens, soutenus par les autres Européens, ont tenu, et tiennent encore, sans que l’ogre moscovite ne soit en mesure de percer significativement la ligne de front. De la même manière qu’il a réveillé la Chine, Trump a probablement permis à l’UE d’accélérer une nouvelle étape de sa construction, sur le plan militaire, industriel et politique.

Il ne reste guère que l’offensive idéologique à laquelle il puisse se raccrocher pour justifier un quelconque succès. Promotion de pratiques illibérales, attaques contre l’État de droit, « vérités alternatives », Trump, Vance et les autres pondent une perle de l’extrême par jour. L’accoutumance est forcément dangereuse, mais là encore, passée la consternation, elles ne permettent nullement de faire basculer significativement les opinions publiques dans le camp anti-démocratique et autoritaire.

Au contraire, ceux qui se portent le mieux à l’extrême-droite sont ceux qui sont parvenus à maintenir une certaine distance avec le cow-boy de Floride. Meloni poursuit son équilibre subtil : Donald est « great » mais il ne s’agit pas non plus de rompre avec Bruxelles d’autant que l’opinion publique européenne est parcourue par un réflexe de défense du gouvernement ukrainien après l’humiliation publique subie. En France, après trois ans de conflit, et malgré les contraintes budgétaires, l’opinion demeure massivement derrière l’Ukraine face à l’agression impérialiste. Les forces poutinophiles, RN et LFI en tête, sont empêtrées et rattrapées par des contradictions inextricables et le paient aux différents scrutins anticipés. Le baiser de la mort en soutien à « Marine » venu de Vance et Trump, exigeant sa « libération » raffermit les convictions de citoyens qui retrouvent des réflexes républicains, démocratiques et se découvrent européens.

En somme, si Trump mobilise parmi les siens, il aboutit surtout à des résultats inverses à ceux poursuivis sur le plan économique, idéologique, géopolitique. La limite de la bêtise ?

Boris Enet