Le nouveau JDD commence fort…

par Laurent Joffrin |  publié le 07/08/2023

Une erreur de photo en « une » ? Cela peut arriver. Plus significative est la réaction du directeur du journal, qui applique sans ciller la méthode de la « vérité alternative »

Laurent Joffrin

Ce n’était pas le bon Enzo… En « une » du JDD nouvelle manière, la photo pleine page d’une marche blanche organisée en hommage à un jeune homme nommé Enzo. Sans légende, seulement la manchette dominicale : « Nous ne sommes pas un fait divers, lettre ouverte de familles de victimes au président de la République » À l’intérieur, la lettre en question commence par cette phrase : « Enzo avait 15 ans et il y a quelques jours, il a reçu une lame en plein cœur. » Drame terrible, en effet. A Louviers, ce jeune apprenti maçon est mort après avoir été poignardé à la poitrine pour un simple regard de travers. Pour tout lecteur, la photo de « une » se rapporte évidemment à ce meurtre révoltant.

Détail embarrassant : le lendemain, on apprend sur Twitter (appelé désormais X), que la photo concerne en fait un autre drame, la mort d’un autre jeune homme, prénommé aussi Enzo, tué dans un accident de voiture dans les Landes. Après vérification, il apparaît que la rédaction du nouveau JDD s’est trompée et a pris un Enzo pour un autre.

Soyons francs : les erreurs de photo se produisent de temps en temps dans les journaux, par inadvertance ou à la suite d’une légende mal rédigée. La plupart du temps, le journal fautif corrige son erreur et présente ses excuses à ses lecteurs. Point du tout avec le JDD de Geoffroy Lejeune : loin de reconnaître la bévue, le nouveau directeur affirme que le choix de la photo était délibéré, qu’il s’agissait de trouver une photo « symbolique » qui évoque, en général, le sort cruel des familles de victimes de meurtre ou d’accident.

Explication hautement douteuse : si la rédaction du journal savait qu’il ne s’agissait pas de la bonne personne, elle l’aurait mentionné d’une manière ou d’une autre, en expliquant qu’elle avait choisi un exemple générique pour illustrer son propos. Telle est, en tout cas, la règle journalistique qu’on applique dans ce cas, de manière à ne pas tromper le lecteur et à ne pas froisser les personnes présentes sur la photo, enrôlées dans une opération de presse dont elles ignoraient tout. 

Détail mineur ? Certes : la polémique journalistique compte peu en regard des plaintes légitimes de ces familles qui se sentent négligées par les autorités et les médias. Mais détail significatif dans le cas du JDD… Les « unes » sur l’insécurité ne sont pas l’apanage de l’extrême-droite, même si c’est pour elle un thème de prédilection. Ce qui signe en revanche l’orientation du journal, c’est son rapport à la vérité, illustrée par la réaction de Lejeune : celle d’un militant et non d’un journaliste. Plutôt que reconnaître une erreur, ce qui profiterait à l’adversaire, on bétonne et on contre-attaque. À choisir, mieux vaut mentir grossièrement que passer pour un amateur. Pour le reste, on mettra en avant les victimes pour se protéger des attaques et stigmatiser les critiques. On n’informe pas, on mène un combat. À l’échelle lilliputienne de Lejeune, c’est la méthode Trump dans sa pureté originelle : imposer par la répétition une « vérité alternative ».

Rien d’étonnant : le nouveau JDD est né dans le mensonge. Rappelons le plaidoyer prononcé par l’actionnaire en titre, Arnaud Lagardère, au moment de l’annonce de l’arrivée de Lejeune à la tête de la rédaction. « Ce fantasme de l’extrême droite qui s’invite dans notre hebdomadaire n’est pas réel. La nomination de Geoffroy Lejeune est avant tout un choix économique, et pas du tout idéologique. » Rires dans la salle… Un mois plus tard, on voit ce qu’il en est du « fantasme ». Au sein de la nouvelle rédaction, on trouve principalement des journalistes connus pour leur engagement à l’extrême-droite, venant de Valeurs Actuelles, de Minute ou du France-Soir nouvelle manière, complotiste à souhait, ou encore recrutés parmi les chroniqueurs de l’empire Bolloré. Obligé d’endosser un choix qui n’était pas le sien, mais qui découle du changement d’actionnaire, Lagardère avait lui aussi bétonné, se fendant d’une déclaration où le comique le dispute avec le mensonge.

Avec l’incident du premier numéro, le pressentiment général se confirme. Le JDD, un journal d’information ? Non, un organe militant au service d’une idéologie extrême.

Laurent Joffrin