Le pape contre l’archevêque : un procès en excommunication  

par Marcelle Padovani |  publié le 28/06/2024

Monseigneur Vigano a décidé de contester Vatican II et même le pape François. Mais l’affaire a toutes les raisons d’être… soigneusement étouffée.

Le pape François lors de l'audience générale hebdomadaire sur la place Saint-Pierre au Vatican, Italie, Rome - Photo VATICAN MEDIA / CPP / HANS LUCAS

Le procès pour schisme, ouvert le 28 juin contre monseigneur Carlo Maria Viganò devant le « dicaster » pour la doctrine de la foi, soit le « tribunal de l’Inquisition » à Rome, aurait dû soulever l’indignation. Or, le monde catholique n’a pas bronché. Les non catholiques, eux, ne s’en sont pris ni à l’inculpé ni à ses juges. Et les médias ont évité de prendre position. La communauté catholique semble vivre l’exact contraire du bouleversement que fut l’expulsion de l’église romaine en 1988 de monseigneur Lefèbvre excommunié lui aussi par ce même tribunal pour avoir contre l’avis de Rome consacré quatre évêques traditionalistes. Cette fois, pas de vagues. Il y a plusieurs raisons à cette discrétion.

La première est que la droite cléricale, puissante en Occident, dominante dans les églises allemande et américaine, bien que très liée à Viganò, ne veut pas se compromettre sur un sujet qu’elle juge « délirant ». Celui d’un archevêque, chouchouté jusqu’en 2013 par la papauté, qui a découvert tout à coup que ni le Pape François ni le Concile Vatican II n’étaient « légitimes ». Le voilà qui réclame la « démission » de ce pontife qui aurait par exemple « couvert les exactions du cardinal Mac Carrick, avide de séminaristes ».

François incarnerait tous les défauts du Concile Vatican II, ce « cancer théologique » qui aurait eu le tort de vouloir combler le fossé avec les non croyants. Même les « lefèbvriens », chassés de l’Église par l’excommunication de leur chef, et vieux complices de Viganò, se tiennent soigneusement à distance de l’imprécateur. En somme, l’archevêque Vigano affronte tout seul son « procès pour schisme ».

La seconde raison est que les catholiques progressistes ont à cœur de défendre, dans ce conflit, ce que le vaticaniste Marco Politi, auteur de dix livres sur la papauté, appelle le « capital Bergoglio ». Autrement dit les succès de François, à la fois « son opération réussie de nettoyage des finances vaticanes, son élimination de l’obsession sexuelle, sa détermination à confier à des femmes des postes de responsabilité au Saint-Siège, et ses règles sévères contre la pédophilie ».

Très attachés au Pape, inquiets pour son état de santé, ces catholiques-là s’emploient surtout à réfléchir au profil du futur Souverain Pontife. Un « exotique » comme François ? Ou bien au contraire un évêque européen, peut-être même italien ? L’affaire Viganò ne devrait donc pas laisser de traces.

Troisième raison du désintérêt : la personne même du Pape. Quatre-vingt-sept ans, presque impotent, il est devenu un personnage médiatique très présent sur les réseaux sociaux. Il a écrit plusieurs livres, participe à des émissions de télévision, donne des interviews, joue les guest stars comme au récent G7, et s’exprime de plus en plus souvent dans un langage pas très contrôlé. Ce pape est-il encore le chef crédible d’une Église de deux milliards de croyants, tentés de voir dans le procès pour schisme contre Vigano une illustration de son « goût du spectacle « de plus en plus souvent critiqué ? 

Marcelle Padovani

Correspondante à Rome