Le pape François : la Corse avant la France

par Marcelle Padovani |  publié le 23/11/2024

Le souverain pontife a décidé de venir à Ajaccio en décembre, après avoir refusé de se rendre à Notre-Dame de Paris. Un soutien à l’identité corse ? Ou bien une volonté de garder ses distances avec la France ?

Une photo prise le 15 novembre 2024 montre la cathédrale d'Ajaccio qui accueille une délégation du Vatican en préparation d'une visite prévue du pape en Corse le 15 décembre. (Photo Pascal POCHARD-CASABIANCA / AFP)

Un pape peut-il préférer une modeste église de Corse à l’historique cathédrale de Notre-Dame de Paris ? Oui, s’il s’agit de l’inventif François, qui sera ce 15 décembre à Ajaccio, capitale de la Corse, après avoir refusé de se rendre à Paris, capitale de la France, le 8 du même mois. Et tous de se demander pourquoi le « Pape imprévisible », comme l’a baptisé le journal La Croix, a fait ce choix étrange.

Les exégètes y voient trois motivations. La première ? La Corse est une île de la Méditerranée et depuis dix ans, François accomplit régulièrement un pèlerinage dans les îles occidentales (Sicile, Sardaigne, Malte ou Chypre). La Corse était devenue un rendez-vous incontournable. C’est ce qu’on soutient en tout cas au Vatican.

La deuxième raison ? Le thème même de la rencontre ajaccienne du 15 Décembre. Animée par des spécialistes internationaux, celle-ci est consacrée à « la religiosité populaire » dans l’historique « mare nostrum » que l’on célèbre régulièrement depuis l’Antiquité. La Corse est à l’avant-garde de ce mouvement de restauration en renouant avec des traditions autrefois solides. Une centaine de « confraternite » – ou « confréries » – se sont reconstituées depuis vingt ans et regroupent plus de 3.000 membres. Puis il y a l’adhésion chaleureuse de la population aux rites, aux messes, aux défilés et aux célébrations des saints locaux, souvent accompagnés par des groupes de chanteurs à l’inspiration très liturgique. Signe de cet engouement : on attend pour décembre quelque 10.000 Corses du continent soucieux de ne pas rater François, le premier pape à traverser la mer tyrrhénienne.

La dernière motivation est plus subjective : c’est l’amitié admirative du pontife pour l’évêque François Bustillo, qu’il a personnellement couronné cardinal de Corse il y a un an. Cinquante-sept ans, un mètre 90, Bustillo maîtrise de nombreuses langues, dont le français, le basque et le corse. Dynamique et enjoué, toujours à l’affût des nouveautés et ouvert à toutes les initiatives, le prélat symbolise avec éclat le réveil religieux des Corses. Et, au passage, leur attachement à l’identité de l’île, fortement teinté de nationalisme. Ces 320.000 habitants, souvent éparpillés dans des communes rurales, ont désormais un homme, un visage et une silhouette qui incarne au mieux leur désir de reconnaissance.

C’est sans doute à tout cela qu’a pensé le pape François quand il a accepté de « jouer à être corse » pour une journée, de 8 heures du matin à 7 heures du soir. Et peut-être aussi à cette occasion de souligner, urbi et orbi, sa distance avec la France, où il ne s’est rendu que deux fois durant son pontificat, en 2014 à Strasbourg et en 2023 à Marseille…

Marcelle Padovani

Correspondante à Rome