Le pape va-t-il excommunier la droite ?

par LeJournal |  publié le 23/09/2023

Les conservateurs et les identitaires écoutent François, les dents serrées et l’estomac noué. Et pour cause : le chef de l’Église catholique ne cesse de les désavouer avec éclat

Le pape François à la rencontre des réfugiés de Mytilène sur l'île de Lesbos, en Grèce, en décembre 2021 - Photo d'Andreas SOLARO / AFP

Silence gêné, contenue, critiques obliques… Droite et extrême-droite passent depuis deux jours des heures éprouvantes, à la limite du supplice chinois. Elles qui ne cessent de tympaniser l’opinion en exigeant que les pouvoirs publics reconnaissent les « racines chrétiennes » de la France et de l’Europe (pour bien marquer que les musulmans n’y sont pas bienvenus), doivent supporter, dents serrées, le discours pro-migrants du premier des catholiques, le pape François.

On compatit à cette épreuve qui oblige ces chrétiens réactionnaires à souffrir en silence pendant les homélies pontificales ou bien à retenir leurs coups sans pouvoir aborder le fond de la question. Valérie Boyer (LR) confesse qu’elle préférait Jean-Paul II ; le député RN José Gonzalès estime que le pape « s’engage trop (…) En France, on parle aux Français » ; Marion Maréchal Le Pen trouve « qu’il n’a pas à faire de la politique ».

Quant au Figaro, il rend compte de l’embarrassante visite à Marseille avec une neutralité constipée, imputant le zèle « immigrationniste » de François à son histoire familiale.

C’est l’explication qu’on invoque souvent à droite : le pape gaucho, aux deux sens du terme, doit son prurit pro-migrants à son passé de péroniste anti-gringo et populiste et à son ressentiment d’homme du sud envers l’Occident post-colonial.

C’est là que les choses se compliquent pour la droite, chantre de l’identité chrétienne. Même s’il y met une application particulière, le pape François ne fait au fond que répéter sur la question migratoire la position constante de l’Église, formulée dès avant Vatican II.

En 1952, Pie XII fait publier le premier document pontifical synthétique sur le sujet, à l’époque mis au centre de l’actualité en raison des déplacements de population causés par le conflit mondial. Son titre seul indique son orientation : « Exsul familia », allusion directe à la fuite de la famille de Jésus en Égypte en raison des persécutions romaines en Palestine. La Sainte Famille, première famille de migrants : on ne saurait être plus clair.

Citons un extrait qui résume la doctrine vaticane : « la domination de chaque nation, bien qu’elle doive être respectée, ne peut être exagérée au point que, si un endroit quelconque de la terre permet de faire vivre un grand nombre d’hommes, on n’en interdira, pour des motifs insuffisants et pour des causes non justifiées, l’accès à des étrangers nécessiteux et honnêtes, sauf s’il existe des motifs d’utilité publique, à peser avec le plus grand scrupule ».

Tout y est : il faut d’abord accueillir dignement, dit l’Élise, pour donner à chacun le droit de changer de pays pour chercher un monde meilleur, même si ce droit trouve sa limite dans « la domination de chaque nation » et dans des motifs « d’utilité publique », qu’il faut mettre en œuvre « avec le plus grand scrupule ».

Une ligne de conduite fondée sur l’accueil, régulièrement réitérée depuis par le Vatican, et située à l’inverse exact de la position de la droite identitaire, qui postule le rejet automatique des migrants, sauf exception parcimonieuse.

Ainsi, ceux qui se gargarisent de leurs racines chrétiennes, de leur fidélité à l’identité catholique de la France « fille aînée de l’Église », avec son « manteau de cathédrales », tournent le dos aux préceptes sans cesse réaffirmés de leur propre religion.

En d’autres temps, quand le Pape assurait avec vigueur le respect de la doctrine catholique parmi ses ouailles, ces hérétiques, sacrifiant les pauvres et les réprouvés à leurs obsessions politiques, auraient été excommuniés…

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