Le Pen favorite
La présidente du RN à l’Élysée ? D’enquête en enquête cette folle hypothèse ne cesse de se confirmer. Ce qui suppose de sérieuses remises en question, à gauche notamment.
Ce n’est qu’un sondage, diront les optimistes – ou les inconscients : nous sommes trois ans avant l’échéance, il y a une marge d’erreur de trois points, « les sondages, ça ne veut rien dire », tout peut changer, etc. Irénique aveuglement. Dans une étude de l’IFOP pour Valeurs Actuelles, Marine Le Pen arrive à 36% eu premier tour ; elle bat Gabriel Attal à 51% au deuxième tour et fait jeu égal avec Édouard Philippe. Si l’on cumule les voix de la candidate du RN avec celles d’Éric Zemmour et de Nicolas Dupont-Aignan, l’extrême-droite dépasse les 40% au premier tour. Et si d’aventure Jean-Luc Mélenchon passait le premier tour, il serait écrasé au second à 64% contre 36%.
C’est un fait que beaucoup de choses peuvent évoluer avant 2027. Il est possible aussi que ces bons sondages provoquent un sursaut à l’approche du scrutin, certains électeurs votant pour Marine Le Pen pour exprimer leur mécontentement à l’égard du reste de la classe politique, sans forcément souhaiter qu’elle accède à l’Élysée. Mais tout de même… Si l’on ne s’arrête pas à ce seul résultat mais qu’on examine la tendance, « la dynamique », comme disent les sondeurs, on ne saurait se rassurer : le RN ne cesse de progresser d’enquête en enquête, ce qui lui permet maintenant d’espérer sérieusement l’emporter. La conclusion est claire : il y a de fortes chances pour que Marine Le Pen devienne, dans les mois qui viennent, la favorite de l’élection de 2027.
Ce qui appelle quelques remarques. Dans la même enquête, la gauche se retrouve dans les choux, avec à peine plus d’un quart des voix. Si elle veut retrouver une chance de figurer honorablement et – peut-être – de passer le premier tour, elle doit présenter une ou un candidat crédible. C’est-à-dire une candidate ou un candidat qui ne soit pas issu de la France insoumise, comme le démontre le piètre score de Jean-Luc Mélenchon (qui reste néanmoins le plus fort dans un premier tour, tout en mordant la poussière au second). D’où l’urgence de reconstituer une gauche rationnelle, capable de se poser en candidate au gouvernement du pays. Nous en sommes loin, même si l’élection européenne peut être l’occasion pour le PS de retrouver quelques couleurs.
Il est probable, en second lieu, que la simple dénonciation du « danger RN », quel que soit le ton et les arguments employés, ne suffise pas à dissuader les électeurs de pencher de ce côté. Depuis 2022, faisant contraste avec les outrances de LFI, le RN a conduit avec habileté une opération de banalisation fort réussie. Les chiffres montrent maintenant sans appel qu’il fait beaucoup moins peur à l’électorat que LFI, ou même que feue la NUPES, entraînée par Mélenchon dans un pré carré radical où elle s’est enfermée avant d’imploser. Pour contrer le RN, il ne suffira pas de dénoncer son programme. Il faudra convaincre les électeurs que ses adversaires sont capables de résoudre les problèmes qui le font prospérer.
Quels sont-ils ? Le pouvoir d’achat, qui reste la première préoccupation des électeurs ; l’immigration, dont l’augmentation continue est étroitement corrélée avec les progrès de l’extrême-droite ; l’insécurité, qui inquiète les électeurs de tous bords, y compris les plus à gauche ; enfin, et plus largement, le sentiment de déclassement qui touche une grande partie des classes moyennes et populaires et les pousse vers les extrêmes en général et vers l’extrême-droite en particulier. Non pas, comme le pense la droite, en reprenant sur tous ces points la philosophie et les solutions du RN, ce qui ne sert qu’à le légitimer, mais en lui opposant un projet républicain crédible et réaliste susceptible de soigner ces maux dans le strict respect des valeurs de progrès et de démocratie. Alors seulement on pourra dire que ce sondage peut être démenti et que cette photographie de l’opinion n’a rien à voir avec une prévision.