Le piège de Lampedusa

par Marcelle Padovani |  publié le 19/09/2023

Europe ou nation ? La Première ministre italienne Giorgia Meloni, prise entre les migrants et l’extrême-droite, oscille à nouveau entre l’orthodoxie européenne et l’orthodoxie nationaliste

Giorgia Meloni et Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne Photo Handout / ANSA / AFP

Mèches sauvages, sourire évanescent, vêtements approximatifs : « La Giorgia », que les médias avaient gentiment apprivoisée depuis un an, semble soudain avoir cessé d’être elle-même. Le coupable s’appelle… Lampedusa. Après sa tonitruante victoire électorale l’an dernier (26 % des suffrages en septembre 2022), le rideau semble retomber sur le « phénomène Meloni », cette ex- fasciste devenue pro-Europe tentée par l’austérité, et convaincue de l’efficacité de la « méthode Mario Draghi », professeur, banquier, fonctionnaire et président du Conseil des ministres jusqu’au 22 octobre 2022, une sorte d’anti-Le Pen.

Nouveau revirement ! Elle envisagerait désormais, si l’on en croit « Il Fatto quotidiano », d’opérer un retour aux sources populistes, anti-européennes et anti-immigrés. Toute chamboulée, la Giorgia » ! Peut-être parce que tout se complique pour elle à l’approche des élections européennes (en 2024) avec la guerre de tranchées que lui inflige son principal allié au gouvernement, d’extrême-droite, Matteo Salvini, patron de la Ligue et vice-président du Conseil. Avec, d’un côté, en fond sonore, l’état d’urgence « migrants » et, de l’autre, la méfiance croissante des milieux bruxellois.

Car les 130 000 migrants affamés et assoiffés qui ont déboulé dans l’île depuis janvier dernier ne se contentent plus de rester dans leur coin, sur la côte Sud, ou derrière les murs du centre d’accueil. Les voilà qui envahissent la Lampedusa touristique, la case trésor, suscitant, pour la première fois, la colère des élus locaux et des habitants. Moins de 100 personnes attendaient Meloni et la commissaire européenne Von der Layen à leur arrivée dimanche sur l’île. Et ils ne lui ont pas caché leur scepticisme, voire leur hostilité.

« La Giorgia » a encaissé. Mal. Comme elle a dû encaisser la distance feutrée imposée par « Madame Ursula ». Autrefois pourtant une amie fidèle et coopérative, sur le plan personnel et professionnel, avec tout ce qu’il fallait de bises publiques, de larges sourires et d’accolades tribuniciennes. Giorgia l’avait presque convaincue de la probabilité d’une majorité de droite au prochain Parlement européen. Tout laisse penser que le rêve est fini et que l’actuelle majorité « Von Der Layen » sera reconduite. à l’identique.

En embuscade, Matteo Salvini est prêt à sauter sur l’occasion pour pousser Giorgia vers les thèmes chéris de l’extrême-droite : la guerre à l’Europe, la défense du souverainisme, et une ligne dure sur les migrants avec l’éventuelle fermeture des ports italiens. L’Italie redeviendrait alors le « décor d’un souverainisme qui affaiblit l’Union européenne », comme l’a écrit le 19 septembre le directeur du journal La Repubblica. Mauvais augure.

Vision pessimiste ? Certains en Italie veulent croire que Giorgia Meloni se trouve enlisée dans une propagande électorale provisoire, mais que sa vraie ligne de fond reste malgré tout européenne, ouverte à la coopération et antiraciste.

Le piège de Lampedusa ne s’est peut-être pas encore refermé.

Marcelle Padovani

Correspondante à Rome