Le PS s’est évadé
Il y aura une liste socialiste autonome aux prochaines européennes. La gauche française vient peut-être de vivre un tournant décisif, bien au-delà de la simple échéance du printemps prochain
Vive le PS libre ! À l’unanimité de son bureau politique, le Parti socialiste a voté un texte d’orientation qui prévoit la constitution d’une liste autonome pour les prochaines élections européennes. C’est un succès pour Hélène Geoffroy et Nicolas Mayer-Rossignol, chefs des deux minorités socialistes (regroupant la moitié du parti), qui plaidaient pour cette stratégie depuis l’origine, quand la direction cherchait à ménager encore la possibilité de rejoindre une liste unique avec LFI. La décision des Verts et du PCF, qui avaient déjà opté pour leur propre liste, a bien sûr pesé dans la balance. Mais la pression des opposants à la direction a emporté le morceau : comme le souligne Mayer-Rossignol, la ligne de la minorité est soudain devenue majoritaire.
Jean-Luc Mélenchon, qui menait depuis des semaines une campagne un peu lourdingue en faveur d’une liste commune, allant jusqu’à proposer à Ségolène Royal de la conduire (avant de changer d’avis) peut donc aller se rhabiller. Comme il est logique dans un scrutin proportionnel, chaque parti courra sous ses propres couleurs, sachant que, selon tous les sondages, cette tactique ralliera à la gauche plus de suffrages qu’une liste unique, et enverra donc au Parlement européen plus de députés de gauche, au moment où la droite nationaliste ne cesse de progresser sur le continent.
Fin de l’union de la gauche ? Rien n’est décidé sur ce point, mais les socialistes unanimes ont enfin compris que les déchirants appels de LFI à l’unité visaient surtout à geler les rapports de force internes à la NUPES, sur la base du vote de 2022, outrageusement favorable à LFI. En imposant une liste unique, les Insoumis cherchaient avant tout à maintenir leur hégémonie sur la gauche. Or, là aussi, les enquêtes d’opinion répétées montrent que le scrutin du printemps prochain place les trois principales formations de la gauche – PS, Verts et LFI – à peu près à égalité. Si tel est le cas (rien n’est joué, bien sûr), Jean-Luc Mélenchon, avec un score ramené à son niveau habituel (environ 10%) ne pourra plus prétendre faire la pluie et le beau temps. D’où son ire et son amertume…
Il restera ensuite trois ans avant la prochaine présidentielle, soit un laps de temps largement suffisant pour négocier une union nouvelle, où le pôle réformiste équilibrera le pôle radical, configuration nettement plus favorable à une victoire. Encore faut-il que le PS remplisse deux conditions sine qua non : défendre un projet européen neuf et crédible ; présenter une liste qui réunisse en son sein le PS et tous ceux qui partagent peu ou prou ses orientations, les radicaux, la petite formation de Raphaël Glucksmann Place publique, mais aussi la Convention de Bernard Cazeneuve, ainsi que les clubs et think tanks qui réfléchissent depuis trois ans à la rénovation du programme de la gauche responsable. Il y a cinquante ans, François Mitterrand avait suivi un processus simple : réunir les socialistes, puis réunir la gauche. L’aventure avait démarré à Épinay, dont on avait à l’époque dit que c’était un congrès bricolé sans grande importance.
Peut-être, mutatis mutandis, venons-nous d’assister à un événement de ce type, petit par ses dimensions, grand par ses conséquences, qui relance, lui aussi, l’espoir à gauche.