Le regret Cazeneuve
La nomination d’un Premier ministre de droite qui devra obtenir la bienveillance du RN pour gouverner ravive les regrets d’une grande partie de la gauche devant l’occasion manquée par le PS.
L’aberrante attitude d’une grande partie de la gauche depuis le 7 juillet laissera des traces. On ne sait si Emmanuel Macron a choisi dès l’origine de chercher une alliance à droite ; la réponse gît au plus profond d’un cerveau obscur et tortueux. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que la gauche, de toutes manières, n’a rien fait pour l’éviter. Dès lors qu’elle a laissé Jean-Luc Mélenchon exiger trois minutes après le résultat « tout le programme et rien que le programme » sans protester clairement, l’affaire était pliée.
Pure spéculation, dira-t-on, la nomination d’un Bernard Cazeneuve supposait des conditions impossibles à remplir. Qu’en sait-on ? Imaginons une gauche réaliste, ouverte, décidée à empêcher l’arrivée de la droite au pouvoir. Au lendemain du scrutin, constatant qu’elle est en tête sans détenir de majorité absolue, elle se fixe pour objectif d’élargir son assise pour proposer une solution viable et un candidat de compromis, Bernard Cazeneuve, par exemple.
Déclarant qu’elle est prête à négocier sur son programme, elle prend langue avec les moins à droite des centristes et cherche à bâtir un projet certes incomplet (compromis oblige), mais qui améliore le pouvoir d’achat des défavorisés, renforce les services publics, pousse fermement dans le sens de la mutation écologique, rétablit des impôts sur les plus hauts revenus et patrimoines et amodie la réforme des retraites pour la rendre plus juste, tout en prévoyant un financement crédible. Tout cela était parfaitement jouable, d’autant plus que le précédent historique suggéré par le nom de la coalition, Front populaire, allait dans le sens d’une action de défense républicaine et non d’une mythique « rupture avec le système ».
La France Insoumise l’aurait refusé ? Soit. Mais il lui était loisible de ne pas participer, comme elle l’a elle-même envisagé en annonçant, mais bien trop tard, qu’elle ne revendiquait plus de ministères. Restée en lisière, elle aurait pu s’associer aux mesures sociales pour en tirer le bénéfice politique et s’abstenir de voter les mesures ou les textes qu’elle réprouvait. Solution rationnelle, ouverte, réformiste, imparfaite, bien sûr, aux yeux d’une partie de la gauche, mais favorable aux classes populaires. Bien plus, en tout cas, que la politique dont Michel Barnier sera l’instrument. Mais solution impossible, on l’a vu : la gauche radicale préfère toujours la droite dure au centre-gauche.
Inutile, néanmoins, de pleurer sur le lait renversé. Macron et Mélenchon ont choisi la droite : le mal est fait. En revanche, la leçon est claire. Les sociaux-démocrates, les écologistes non-radicaux, doivent se renforcer, faute de quoi, les mêmes causes produisant les mêmes effets, la radicalité l’emportera de nouveau à gauche, et ouvrira un boulevard à la droite, voire à l’extrême-droite. Cette gauche du réel est dispersée : elle doit se coordonner. Elle n’a pas de programme construit et facile à populariser : elle doit en bâtir un. Elle n’a pas de candidat naturel : elle doit se concerter pour en désigner un. Faute de quoi elle restera impuissante, laissant le champ libre à la radicalité minoritaire, c’est-à-dire, au bout du compte, à toutes les variantes d’un pouvoir de droite ou d’extrême-droite, en 2027 et peut-être bien plus tôt