Le roman fou d’un Italien à Mexico

par Laurent Perpère |  publié le 05/04/2024

 Gian Marco Griffi nous embarque dans un livre vertigineux, foisonnant et burlesque!

D.R Gallimard

Février 1944, à Asti, la République de Salo vit ses dernières heures, le Roi s’est enfui, les Allemands occupent toujours la petite ville du Piémont. Cesco, obscur soldat membre de la Garde nationale républicaine ferroviaire (oui, cela existe, et c’est pitoyable), se voit confier la mission, demandée par les plus hauts hiérarques nazis à la suite de détours aussi incompréhensibles que la vie elle-même, d’établir dans les plus brefs délais une carte ferroviaire du Mexique.

La proposition initiale de ce « roman d’aventures », exposée dans une cocasse introduction ne manque pas d’intriguer au plus haut point. C’est le point de départ d’une brillante narration, mêlant tous les registres romanesques, d’un roman-monde qui nous fait voyager de la désespérante campagne turinoise aux palais de la dictature nazie (starring Adolf lui-même), en passant par les hauts plateaux mexicains.

C’est vertigineux, foisonnant, burlesque, c’est à l’image d’un monde dépourvu de tout sens, hors le tragique de la condition humaine. C’est éblouissant de créativité et d’intelligence. C’est de la vraie littérature.

Cesco, notre très modeste et très attachant héros, lesté d’une terrible et incurable rage de dents, tombe fou amoureux d’une merveilleuse Tilde, bibliothécaire à la poésie hors du monde détruite par sa folie. Amour absolu, voué à l’échec évidemment. Obstiné dans sa quête d’un exemplaire d’une Historia poética y pintoresca de los ferrocariles in México qui passe de main en main pour lui échapper sans cesse, il va croiser d’improbables personnages hauts en couleur: un représentant des poètes freineurs avant-gardistes, un croque-mort trompettiste de jazz, un curé qui a décidé la grève de Dieu, un officier SS amateur d’antiquités, des voyous demi-résistants un adjudant-chef fasciste désabusé qui veut voir la mer, des putains misérables, un enfant de 7 ans mort de faim..

On est pris dans ce roman comme on l’est dans des rouleaux de vagues, ballottés, heureux de revenir dans l’écume. Il en reste la même saveur amère, faite de ces vies sans but et sans espoir, vies cependant, survivant à l’absurdité des coups de dés de dieux indifférents dans cette Italie qui se défait du fascisme sans avoir retrouvé de raison d’espérer.

« On pourrait dire que la vie même est une succession embrouillée et irrésolue de moments éphémères et dérisoires (les moments significatifs et essentiels ne sont rien d’autre que des noeuds défaits par le destin, ou par la volonté humaine qui se rebelle contre lui ». En les révélant, le roman « permet de découvrir combien d’émotions se dissimulent dans l’éphémère et le dérisoire, dans le marginal et dans l’insignifiant ».

Griffi nous donne la clé de ce grand roman, roman-monde d’aventures, de dérisoire et d’émotions. Il vaut la peine d’embarquer avec lui dans ces « Chemins de fer du Mexique ».

Chemins de fer du Mexique. Gian Marco Griffi – Collection Du monde entier, Gallimard- 650 pages – mars 2024

Laurent Perpère

chronique livre et culture