Le sabre de bois de Marine Le Pen
Le Rassemblement national hausse le ton, menaçant de voter la censure. C’est davantage pour masquer son embarras que pour passer à l’acte.
Il y a quatre ans, Marine Le Pen, en fervente partisane de Donald Trump, avait contesté sa défaite. Cette année, toute occupée à son entreprise de notabilisation, elle s’est gardée de le soutenir. Et a salué très sobrement sa victoire en notant « le choix clair de la démocratie américaine ». Le retour du président républicain n’est paradoxalement pas une bonne nouvelle pour la dirigeante d’extrême-droite, qui craint une contre-publicité. Décidément, quand ça ne veut pas…
Marine Le Pen traverse en effet une mauvaise passe. Supposée être l’arbitre des élégances depuis la dissolution, elle subit finalement plus qu’elle n’impose le tempo politique. A l’Assemblée nationale, elle se fait voler la vedette par Eric Coquerel, qui mène la danse et parvient à durcir les mesures fiscales visant les privilégiés, laissant les élus du Rassemblement national sans voix. Au gouvernement, Bruno Retailleau, nouvelle coqueluche des sondages, tient un discours avec lequel le RN a du mal à rivaliser, son ministre délégué à la Sécurité, Nicolas Darragon se faisant même ovationner par les députés de Marine Le Pen aux mots de « L’étranger, dehors ! ». Coincé entre le NFP qui fait le job pour défendre la veuve et l’orphelin, et la droite qui flatte au maximum l’électorat en demande d’autorité, le Rassemblement national peine à exister.
Menacé de se faire tondre par tous les bouts, le parti de Jordan Bardella doit justifier une certaine passivité auprès de ses électeurs. Dans l’hémicycle, ses membres ont en effet refusé de voter l’imposition sur la fortune des plus riches et la fin de la « flat tax », qui permet aux dividendes d’être moins imposés que le travail. Et on n’entend plus de vociférations déplacées sur les immigrés émanant d’élus tenus de respecter la « politique de la cravate », c’est-à-dire la priorité donnée à la respectabilité. Sur le terrain, les soutiens s’interrogent : que se passe-t-il à Paris ? Pourquoi ce soutien plus ou moins implicite à l’équipe de Michel Barnier ? Cela ne conduit-il pas dans le mur ?
Pour rassurer ses partisans, le RN a donc décidé de hausser le ton. Ce parti détient théoriquement l’arme nucléaire, le pouvoir de voter la censure. En joignant ses voix à celles de la gauche, il peut faire tomber le gouvernement. C’est pourquoi on a entendu sur les ondes le très mariniste Jean-Philippe Tanguy, homme fort de la commission des Finances, dire au sujet du Budget en discussion : « Rien ne nous convient ! » et faire planer la menace du vote d’une motion de censure « si des lignes rouges sont franchies, notamment celles de l’injustice fiscale ». Même tonalité guerrière chez son collègue Sébastien Chenu, qui a lancé : « Vous êtes en train de créer les conditions de la censure ! »
On savait déjà que les élus RN voteraient contre la loi de finances. Mais de là à pousser jusqu’à une censure, en réalité, rien n’est moins sûr. Ce n’est pas le bon timing pour l’extrême-droite. Aucune dissolution n’étant possible jusqu’en juin prochain, faire tomber Barnier ne ferait que créer de la confusion institutionnelle dont elle serait responsable. Pire encore : un premier ministre de gauche « laxiste » pourrait lui succéder ! Enfer et damnation. Les électeurs de Marine Le Pen ne lui pardonneraient pas.
Une censure aujourd’hui n’arrangerait donc pas les affaires de la candidate à l’Élysée. Elle est de plus déjà très occupée à se défendre dans le procès des assistants parlementaires européens de son parti où elle recrute, à grand-peine, de futurs élus de qualité pour remplir les travées de l’Assemblée. Le compte n’y est pas. En tout cas pas encore. Si bien que, pour la censure, il va sans doute falloir patienter. Pour mieux durer, le RN va devoir encore endurer. En agitant, de temps à autre, un sabre de bois, pour se rappeler au bon souvenir de ses électeurs.