Le salon de la bourde

par Laurent Joffrin |  publié le 25/02/2024

La gestion de la crise agricole par le gouvernement restera comme un modèle dans les manuels de politique publique : un modèle de ce qu’il ne faut pas faire.

Laurent Joffrin

Festival de boulettes Porte de Versailles… La crise couvait depuis l’automne, dans le Sud-ouest notamment, avec ce signal faible mais éloquent, le retournement des panneaux d’entrée de ville, censé symboliser le fait que la politique agricole « marche sur la tête ». Réponse mollassonne du gouvernement, qui sous-estime la colère. Las ! Au début de l’année, la crise éclate avec une violence aussi prévisible que soudaine : tracteurs en masse sur les routes, fumier dans les préfectures, avec en prime l’explosion d’un bâtiment administratif. Panique à bord. À peine nommé Premier ministre, Gabriel Attal doit calmer un mouvement qui menace de bloquer le pays. Lâcher de crédits et, surtout, reculs écologiques en série, qui ont l’avantage ambigu de ne rien coûter au budget, mais nettement plus au climat.

Retour à la normale ? Non : les mesures lambinent, l’application traîne, les agriculteurs ont le sentiment qu’on les a bercés de bonnes paroles : rendez-vous au Salon, transformé en arène de la crise. Arrive alors la méga-boulette, de pure forme, mais d’une stratosphérique maladresse : l’invitation lancée au « Soulèvement de la Terre », qui ne demandait rien, mais dont la seule évocation provoque une crise d’apoplexie dans les milieux agricoles. Le soulèvement a bien lieu, mais c’est celui de la terre paysanne contre ces verts promus chiffons rouges.

Record de confusion

C’est à la fin de la foire qu’on compte les bourdes. Elles sont légion et leur résultat bat un record de confusion : annulation du débat qui devait détendre la tension, visite d’un salon-Potemkine où le président doit déambuler dans des allées vides au milieu d’un pack policier digne des All Blacks ; bousculade violente à l’entrée ; échange improvisé au cours duquel le chef de l’État annonce des concessions tout aussi improvisées. L’une d’elles retient particulièrement l’attention : la fixation d’un « prix-plancher » pour la production agricole. Et pour cause : le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, la qualifiait il y a quelques mois de « démagogique ».

À quelque chose malheur est bon : les syndicats agricoles ont obtenu dans cette furieuse bataille des annonces qui sonnent agréablement à leurs oreilles. L’importance du travail paysan est reconnue par l’opinion quasi-unanime et la question du revenu agricole, centrale dans cette affaire, devient prioritaire. Mais dans quelle redoutable confusion ! On ne sait comment le « prix-plancher » sera fixé et l’on connaît déjà les effets pervers possibles d’un prix administré : trop bas, il ne sert à rien, trop haut, il procure une rente artificielle à ceux qui produisent à moindre coût. Purement français, il encourage l’importation ; européen, il suppose l’accord d’un continent entier. Le principe – socialisant – n’est pas forcément mauvais : le travail agricole mérite juste rémunération. Mais tout est dans les modalités d’application et celles-ci sont pour l’instant enveloppées d’un épais brouillard, ce qui aiguise la vigilance sourcilleuse des syndicats agricoles.

Au fond, c’est peut-être sur le plan politique que le bilan est le plus inquiétant. Le lendemain des incidents, Jordan Bardella, tête de liste RN, armé de ses simplismes anti-européens, est venu calmement récolter les fruits de cette débandade en déambulant au salon, tranquille comme Baptiste…

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Laurent Joffrin