Le signal Civitas
Ce groupuscule catholique menacé de dissolution dit tout haut ce que l’extrême-droite pense au fond d’elle-même
Intéressante, cette petite affaire Civitas, le groupuscule que Gérald Darmanin veut à juste titre dissoudre. On connaît l’objet du délit : une conférence d’un dénommé Pierre Hillard, essayiste complotiste et antisémite, accueilli favorablement par ce groupe catho intégriste lors de son université d’été à la fin juillet en Mayenne. Ce Hillard, donc, proposait de revenir au régime d’« avant la naturalisation des juifs en 1791 » parce que celle-ci aurait « ouvert la porte à l’immigration ». Retirer la citoyenneté à des juifs : on retrouve là une mesure prise par la Révolution nationale de Philippe Pétain. Présidée par un facho belge, Alain Escada, le mouvement a organisé récemment, entre autres exploits notables, une cérémonie à l’île d’Yeu en hommage au maréchal…
Héritier de la dissidence catholique menée en son temps par monseigneur Lefèvre contre Vatican II, Civitas fait partie de la ribambelle de micro-partis ou micro-mouvements qui se situent à la droite du Rassemblement national et qui ont largement rallié la candidature d’Éric Zemmour lors de la dernière élection présidentielle. Bien entendu, et le RN et Zemmour affectent de se pincer le nez quand on leur signale ces encombrants soutiens. Pourtant ces discours sont significatifs : on y trouve sous une forme brute, dégagée de toute précaution, l’essence de l’idéologie de Reconquête ou du RN.
Civitas et ses semblables en extrême-droite sont des identitaires hard, qui avancent à visage découvert. Pour eux, ainsi que le dit tout net ce Hillard, la France ploie sous le joug de l’idéologie républicaine qui a triomphé à la suite de la Révolution française. Les principes abstraits des droits de l’Homme, expliquent-ils, se sont substitués à l’identité chrétienne du vieux pays, qui est depuis entrée en décadence, menacé de disparition en raison de la présence d’éléments étrangers, seraient-ils affublés de la nationalité française. Ce sont aujourd’hui, pour l’essentiel, les musulmans qui sont visés, mais comme le montre la sortie de Hillard, les juifs font également figure de suspects, même si on reste le plus souvent discret sur ce dernier point en raison des lois contre l’antisémitisme.
Zemmour, et plus nettement Marine Le Pen, se gardent de reprendre ces discours bruts de décoffrage. Pourtant on en perçoit toujours la trace dans leur programme, ou dans leur rhétorique. Ainsi Zemmour termine ses discours par cette phrase éloquente : « Vive la République et, surtout, vive la France ! ». Le « et surtout » marquant sa différence avec ses concurrents : pour lui, la République est seconde, l’identité française la surpasse de loin.
Marion Maréchal Le Pen a également mangé le morceau dans un entretien de 2016, quand elle s’est déclarée « soûlée par les valeurs de la République ». On ne saurait être plus clair. Quant au RN, plus prudent, il se réfère à la République. Mais son programme comprend toujours – valeur antirépublicaine notoire – l’instauration d’une préférence nationale en matière d’emploi et de prestations sociales. Autrement dit, il faut le rappeler sans cesse, l’obsession identitaire, point commun à toute l’extrême-droite, mène inévitablement, qu’on le dise ou qu’on le suggère, au rejet de la République.