Le spectre du krach
La remontée des taux d’intérêt destinée à combattre l’inflation menace un système financier miné par la spéculation et l’endettement. Dilemme cornélien pour les autorités monétaires et les gouvernements
Le capitalisme financier nous réserve-t-il une de ces cataclysmiques surprises dont il a le secret, produite, comme toujours, par l’incroyable cupidité des acteurs ? La question mérite d’être une nouvelle fois posée quand on recense les signaux annonciateurs de crise qui sont apparus ces dernières semaines. Ils sont tous liés à un phénomène parfaitement prévisible, mais que nombre de manitous de la finance n’avaient pas prévu : la remontée des taux d’intérêt.
Le soutien de la croissance, les dépenses liées à la pandémie de Covid et la peur d’une révolte sociale ont conduit les grands pays à une création monétaire massive, très supérieure à la croissance des biens et des services. Pendant un temps, écoutant les prêches rassurants dispensés par une ribambelle d’experts, pour qui la concurrence internationale interdisait toute hausse excessive des prix, on a cru la maladie impossible. Las ! L’ironique devise des économistes s’est une nouvelle fois confirmée : « always wrong, never in doubt » (« ils ont toujours tort mais de doutent jamais »). L’inflation a donc fait sa réapparition en Occident, comme il arrive généralement quand on fait marcher frénétiquement la planche à billets, amputant le pouvoir d’achat des travailleurs et incitant les autorités monétaires à réagir : les taux d’intérêt, proches de zéro pendant des années, sont remontés brutalement. Avec trois conséquences angoissantes :
L’agence Fitch a dégradé de nombreuses banques aux États-Unis, considérant que leur bilan grevé par les taux les mettait en risque. Déjà à la fin du printemps, il a fallu sauver plusieurs d’entre elles de la faillite en les rachetant en catastrophe. Si le scénario se reproduit, on court le risque d’une défaillance en chaîne qui peut enclencher un krach général.
En Chine, aux États-Unis et en Europe également, le marché immobilier est au bord de l’effondrement. Là encore, la remontée des taux couplée à l’érosion du pouvoir d’achat a gravement affaibli la demande, ce qui fait diminuer la construction et ranime le spectre d’une crise globale du logement.
Nombre d’entreprises, souvent géantes, ont été financées à l’aide d’un endettement rendu possible par le faible coût du crédit. Dès lors que ce coût remonte, elles devront consacrer une plus grande part de leurs bénéfices au service de la dette. Et si cela ne suffit pas, ces conglomérats risquent l’asphyxie financière, à l’instar du groupe Casino, que son fondateur Jean-Charles Naouri vient de vendre en panique pour éviter la faillite pure et simple.
Bien entendu, les gouvernements et les banques centrales vont tenter de prévenir la chute. Mais les autorités sont devant un dilemme : intervenir, c’est dépenser plus, alors mêmes que les déficits publics atteignent déjà des niveaux stratosphériques. Pour la première fois, les agences de notation ont dégradé l’économie américaine minée par l’endettement. Ainsi va l’économie mondiale au cœur de l’été, aussi déréglée que peut l’être le climat en ces temps de canicule, menacée par les folies de ce casino géant qu’on appelle la finance internationale…