Le « story telling » de Nicolas Sarkozy

par Laurent Joffrin |  publié le 21/05/2023

Condamné en appel à un an de prison ferme, l’ancien président crie à l’iniquité. Il semble bien, pourtant, que la décision des juges soit conforme au droit

portrait de Laurent JOFFRIN le 23 juillet 2020

« Pourquoi suis-je sanctionné, puisque je n’ai rien fait ? » Depuis qu’il a été condamné à un an de prison ferme par la Cour d’appel, Nicolas Sarkozy mène une active campagne pour crier à l’injustice. Et il est vrai que, pour le commun des mortels, il est condamné pour un simple projet qui n’a pas été mis à exécution. La sanction paraît à certains mal fondée ou, en tout cas, disproportionnée.

L’ennui dans ce « story telling », comme on dit aujourd’hui, c’est qu’il se heurte à un obstacle difficile à contourner : la loi. En effet, c’est le simple fait de passer un « pacte de corruption » avec un agent public qui est répréhensible, quels qu’en soient les effets ultérieurs. Ce qui veut dire que le fait de promettre un avantage à un agent public, quelle qu’en soit ensuite l’exécution, tombe sous le coup des lois.

Citons l’article 433 – 1 du Code pénal : est puni « le fait, par quiconque, de proposer sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques à une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif public, pour elle-même ou pour autrui » pour qu’elle accomplisse un acte particulier.

Pour être clair, on lit sur le site « justice.gouv », site officiel de pédagogie juridique, l’explication suivante : « L’infraction de corruption entre dans la catégorie des délits formels existant indépendamment des effets qu’elle produit (Crim, 9 novembre 1995, pourvoi n° 94-84204).

Du côté du corrupteur, peu importe en effet que la proposition de corruption ait été acceptée, sa seule formulation suffit à caractériser l’infraction. Du côté du corrompu, dès lors que la proposition de corruption a été acceptée, il importe peu que les actes réalisés par l’agent public se révèlent inutiles ou sans objet. »

Or les écoutes sur lesquelles s’appuient les juges montrent bien qu’il a eu accord entre les trois prévenus, Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog et Gilbert Azibert, pour obtenir des informations en échange d’une promesse d’intervention. C’est, en tout cas, ce que la Cour d’appel a estimé. Autrement dit, le délit est constitué quand il est formulé, sans qu’on s’occupe forcément, en droit, de la suite des événements.

Il est même sanctionné, dans le même article 433 – 1, par une peine maximale de dix ans de prison, que les juges ont ramenée à trois ans, dont un an ferme. La loi punit ceux qui proposent la corruption, ce qui a une certaine logique : si un particulier propose de l’argent ou un service à un fonctionnaire pour obtenir un avantage, il est déjà coupable, même si sa manœuvre échoue.

Ainsi nul complot dans la double décision des magistrats, en première instance puis en appel, mais une interprétation stricte de la loi. On peut la contester, bien sûr, la juger trop sévère. Mais certainement pas accréditer la fable selon laquelle la justice aurait condamné un innocent par vindicte politique ou corporatiste.

Laurent Joffrin