Le train, je t’aime moi non plus
Les transports en France n’ont pas changé de siècle. Le train patine face à l’automobile et son image se dégrade. Les engagements en faveur de l’environnement ne sont pas tenus.
La défense du chemin de fer, si chère disait-on au cœur des Français, doit être rangée au rayon des vieilles lunes. Car la réalité des déplacements ne reflète pas les louanges adressées au train, paré de toutes les vertus écologiques, mais incapable de gagner du terrain sur l’automobile. L’an dernier, les réseaux ferrés n’ont assuré que 12% des transports intérieurs de voyageurs, contre 82% pour l’automobile. Certes, le recours aux voitures particulières tend à plafonner, alors que le train profite d’une petite progression – moins toutefois que les autocars et tramways qui ne représentent que 5% du total. Les succès du TGV ont occulté la désertion pour le train en France, qui transportait 30% des voyageurs en 1980 et 20% en 2000.
Des promesses, des promesses…
Nous ne sommes pas dans le même cas de figure que le transport de marchandises, à l’origine de la grève du 21 novembre suite à la liquidation de Fret SNCF. On se souvient que, au Grenelle de l’Environnement de 2009, les pouvoirs publics n’avaient pas mégoté sur la priorité à accorder aux transports ferrés et fluviaux, à grand renfort de communication sur les engagements pour la transition écologique. Désillusion… Tout l’inverse s’est produit : le transport de marchandises n’assure plus que 10% des trafics, alors que le fluvial, soi-disant objet de toutes les attentions, stagne laborieusement à 2%. Le trafic de voyageurs n’est guère plus brillant.
Dans les transports, les ministres se suivent et ne se bousculent pas pour obtenir ce maroquin. Il n’y a que des coups à prendre dans ce ministère mal valorisé et surexposé aux conflits sociaux qui peuvent paralyser le pays. Là où une vision sur le long terme s’imposerait, il n’existe pas de continuité dans les réformes qui se succèdent, l’une chassant l’autre avant qu’on puisse juger de ses effets.
La défense du service public ? Justement, il y a belle lurette qu’elle est plus un élément de langage qu’un axe de travail. L’État manque de boussole, sans autre cap que celui de l’ouverture à la concurrence, véritable chiffon rouge pour les syndicats et l’un des principaux motifs de grève des cheminots avec les salaires et les retraites.
Le train ne fait plus rêver
C’est d’ailleurs la libéralisation des services interurbains qui motive l’appel à la grève à partir du 11 décembre prochain, libéralisation qui intervient après celle du fret en 2006 et des lignes TGV en 2020. Dans le cas de l’interurbain, les Régions ont la main. Et compte tenu de la situation financière des autorités territoriales, elles comptent bien faire jouer cette concurrence. N’en déplaise aux syndicats de cheminots qui ne défendent pas la cause du train en multipliant les grèves.
Comme d’habitude, ceux-ci agitent le spectre du recul de la qualité de service à cause de la mise en compétition de la SNCF. Mais les passagers ne sont plus aussi prêts qu’en 1995 à soutenir une grève qu’ils mèneraient par procuration. Car ils supportent les conséquences d’une dégradation de la ponctualité : globalement, 10% des trains régionaux n’arrivent pas à l’heure, et 15% des TGV accusent des retards. Si on ajoute à ces désagréments les tarifs à la fois élevés et incompréhensibles, le train ne fait pas toujours rêver. Face aux déboires d’aujourd’hui, ce n’est pas la concurrence qu’il faut incriminer, mais bien la SNCF elle-même.
La transition attendra
Auditionnés par une commission parlementaire l’an dernier, les anciens présidents de la SNCF Louis Gallois et Guillaume Pépy ont pointé l’impéritie de l’État dans les contre-performances du chemin de fer. Un transport routier qui n’est pas payé à son juste prix et livre une compétition déloyale avec le train, des engagements non tenus par les pouvoirs publics pour propulser le chemin de fer dans le changement de siècle et la transition écologique, le recul des gouvernements à chaque fois que les routiers ou les cheminots manifestent…
Dans les transports, depuis des décennies, l’État joue plutôtun rôle de pompier que de grand architecte. Et le carnet de chèques sert plus à céder aux revendications des uns et des autres qu’à préparer les transports de demain.
Avec les nouveaux tramways, les collectivités territoriales ont été bien plus ambitieuses. Mais pour le reste, les transports sont le secteur où les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté, lorsque tous les autres secteurs les ont réduites.
Représentant à lui-seul 30% des émissions de gaz à effet de serre, il est devenu le secteur d’activité le plus polluant. En cause, le transport routier, à l’origine de 90% des émissions du transport (dont plus de la moitié pour les seules voitures particulières). Ce n’est que le reflet de la répartition des trafics. Les atouts du rail tardent à être matérialisés. Les transports sont à la traîne, le chemin de fer patine, la transition attendra…