Le Tsar est nu

par Laurent Joffrin |  publié le 25/06/2023

En deux jours de rebondissements incongrus, l’équipée d’Evgueni Prigojine a fait une seule victime : Vladimir Poutine

Laurent Joffrin

Ainsi ce tsar qu’on a longtemps présenté comme un implacable dictateur a été menacé deux jours durant par un chef de milice vulgaire et primaire, contraint de le laisser avancer sur 800 kilomètres sans que des troupes loyalistes songent à arrêter le factieux, puis à accepter la médiation d’un autre tsar, de troisième classe celui-là, Alexandre Loukachenko, président décrié de la petite Biélorussie.

Tel un empereur du bas-empire face à la révolte de sa garde, le président russe a dû ménager le prétorien arrogant, lui assurer l’impunité et couvrir de paroles lénifiantes une entreprise de guerre civile dirigée contre lui. Dans Le Mage du Kremlin, Giuliano da Empoli mettait en scène un Poutine impérial, entouré d’une équipe de stratèges politiques redoutables, qui met en place une « verticale du pouvoir » lui permettant d’exercer sur la Russie un contrôle sans partage.

Prigojine a montré que le tsar était nu, que cette « verticale du pouvoir » était passablement tire-bouchonnée et qu’elle avait la consistance d’un spaghetti trop cuit. Poutine ? Le naze du Kremlin.

Il en va souvent ainsi des dictatures. Elles sont sanglantes, meurtrières, nuisibles à leur peuple et dangereuses pour la paix. Mais elles sont moins solides qu’on ne croit. Fondées sur la force plus que sur l’adhésion, elles sont sans cesse menacées par des forces concurrentes, dont le peuple désabusé ne voit pas en quoi elles sont moins légitimes qu’elles.

Souvent les dictatures ressemblent plus à une mafia en butte à une guerre de territoires, qu’à un État réglé et sûr de son bon droit. Pendant deux jours, c’est un attentisme sidérant qui a guidé l’armée et l’administration de la Russie, comme si chacun attendait de voir, avant de se prononcer, quel parrain allait l’emporter dans la guerre des gangs.

Faute de soutiens politiques, Prigogine a échoué et Poutine a résisté en profitant finalement de l’inertie ambiante. Mais désormais sa survie dépend des opérations en Ukraine, c’est-à-dire des soldats russes qui accepteront de mourir pour lui dans les tranchées du Donbass, dans le seul but de sauver un Ubu taciturne qui mène son pays au désastre.

Laurent Joffrin