Le voile, symbole de soumission

par Sylvie Pierre-Brossolette |  publié le 27/03/2025

Depuis les temps les plus anciens, les hommes – et les religions – ont intimé aux femmes de se couvrir la tête, en signe de domination masculine. Jusqu’où le tolérer aujourd’hui ?

Granville pendant l'été. Une jeune femme musulmane voilée regardant ses enfants se baigner. (Photo Christophe LEHENAFF / Photononstop via AFP)

De quoi le voile est-il le nom ? La réponse divise ceux qui ne voient pas de problème au port de ce bout de tissu sur la tête des femmes. Et ceux qui y voient le symbole insupportable de leur soumission. Les premiers parlent de choix personnel fait en toute indépendance. Les seconds dénoncent une instrumentalisation par des islamistes pratiquant l’entrisme pour imposer leurs « valeurs » anti-occidentales partout où ils peuvent se glisser.

Au-delà de l’interrogation sur la signification de ce vêtement particulier, le débat oppose, sur son usage, les tenants du laisser-faire aux avocats de la réglementation. La question clive jusque chez les féministes, qui se battent entre les universalistes choquées par un attribut d’infériorisation du genre féminin et les communautaristes considérant le choix de se couvrir la tête comme un élément de liberté.

L’opposition des visions s’est étalée au grand jour de manière spectaculaire au sein du gouvernement au sujet du sport : Bruno Retailleau et Gérald Darmanin contre Elisabeth Borne et Marie Barsacq, accusées de « naïveté » par le Garde des Sceaux, forçant François Bayrou à intimer le silence dans les rangs mais à confirmer son soutien à la ligne règlementariste de la proposition de loi interdisant le port du voile dans les compétitions sportives.

Deux grands sportifs – masculins – s’en sont mêlés : Teddy Riner versus Mahyar Monshipour. Le quintuple médaillé olympique de judo s’est placé du côté des « pro-voile » en disant : « En France, on perd notre temps sur certaines choses. Dans d’autres cultures, tout se passe bien et on n’emmerde personne ». A quoi l’ex-champion du monde de boxe, français d’origine iranienne, lui répond : « Il faut comprendre le dessein derrière le port du voile dans le sport : il s’agit de rendre habituelle la présence du religieux. On ne parle pas d’une simple croix mais de la volonté de cacher la femme avec le voile. Ce voile est un linceul et le signe visible d’une inégalité entre les hommes et les femmes ».

Alors, le voile, facteur de soumission ou de liberté ? Depuis les jours les plus anciens, les religions ont légitimé la hiérarchie des sexes. Claude Lévi-Strauss disait : « Dans toutes les sociétés que j’ai pu connaître, les femmes sont toujours le sexe dangereux ». Face à cette dangerosité il fallait instituer des modes d’appropriation et de contrôle des femmes. Dans la société romaine archaïque, les femmes soumises à l’autorité de leur époux devaient déjà se couvrir la tête d’un fichu carré, la « rica », qui retombe sur la nuque, les oreilles, les épaules. L’enlever en public, c’était risquer la répudiation.

La théologie chrétienne des premiers siècles légitime cette domination masculine. Pour l’apôtre Paul, elle justifie que l’homme doive prier la tête nue tandis que la femme doit porter un voile : « Un homme n’est pas tenu de se couvrir la tête, étant l’image et gloire de Dieu, mais la femme est la gloire de l’homme. La femme est donc tenue de porter sur la tête un signe d’autorité ». Conclusion de la philosophe Sylviane Agacinski : « Le voilement était donc, bien avant l’islam, un symbole vestimentaire de l’humilité féminine face à l’autorité masculine »

Les exemples abondent, fournissant des arguments contre ceux qui accusent les contempteurs du voile d’être islamophobes. Ainsi le grand orateur latin Tertullien, à la fin du 2ème siècle, recommande-t-il aux jeunes chrétiennes le port d’un voile intégral, porté à cette époque par les païennes en Arabie. Ce voile-là ne laissait voir qu’un œil ! Le voilement intégral était bien antérieur à l’époque du Prophète, comme la mise sous tutelle du « sexe faible ». Aujourd’hui, les femmes musulmanes qui se couvrent la tête suivent moins un très vague précepte du Coran qu’elles n’acceptent, parfois à l’insu de leur plein gré, de porter un vêtement qui symbolise leur soumission.

Au 21ème siècle, qui a vu les femmes compléter leur émancipation dans les démocraties en dénonçant les violences dont elles sont l’objet, doit-on, peut-on, laisser des influences extérieures inciter au port du voile ? En Iran, des femmes meurent pour ne pas se soumettre à cette obligation. Certains grands dirigeants arabes du siècle dernier n’en voulaient pas non plus. En 1950, le président égyptien Nasser avait expliqué devant la Ligue arabe comment il s’était opposé aux Frères musulmans venus lui demander d’imposer le voile aux femmes !

En France, à l’heure actuelle, il y a clairement une volonté des islamistes de pousser à la manifestation des signes religieux pour casser les codes de la société occidentale. Il serait bon que toutes celles qui décident de porter le voile le fassent en toute connaissance de cause. Chacune est libre dans le cadre des lois de la République. Et on peut avancer mille raisons pour justifier de porter un bout de tissu sur la tête. On peut décider de le faire par provocation, tradition, incitation, protection, adhésion…Ce geste n’en restera pas moins, qu’on le veuille ou non, un signe de soumission. Pas de libération.

Sylvie Pierre-Brossolette

Sylvie Pierre-Brossolette

Chroniqueuse