L’économie Casino

par Laurent Joffrin |  publié le 19/07/2023

Le génie de la finance Jean-Charles Naouri voit son empire s’écrouler comme un château de cartes : une fable édifiante sur la réalité d’un capitalisme devenu fou

Laurent Joffrin

Jean-Charles Naouri ? Pendant deux décennies au moins, le président du groupe Casino a ployé sous les compliments : un génie de la finance, un surdoué des affaires, un esprit supérieur, une intelligence unique, bref, dans l’ordre économique et commercial, une synthèse entre Einstein et Mozart.

Aujourd’hui, la vérité des comptes apparaît. Le génie de la finance a conduit son énorme groupe de distribution (quelque 200 000 salariés) au bord du dépôt de bilan ; le surdoué des affaires doit vendre ses actifs en catastrophe pour éviter une faillite honteuse, l’esprit supérieur laisse une colossale ardoise d’environ 4 milliards d’euros.

Son groupe est racheté à l’encan par de secourables investisseurs, Marc Ladreit de la Charrière et Daniel Kretinsky, qui veulent bien tenter le redressement moyennant un apurement draconien de la dette et, probablement, une réduction substantielle de la masse salariale.

Naouri était parti de zéro pour se hisser au sommet ; sa chute le ramène à zéro, moins 4 milliards. Histoire édifiante : normalien hors norme, inspecteur des finances plus que brillant, il avait en son temps présidé, comme conseiller de Pierre Bérégovoy, à la libéralisation de la finance décidée à l’époque pour adapter la France à la nouvelle norme mondiale du capitalisme.

Passé dans la banque, puis créateur d’un fonds d’investissement dénommé Euris, il avait mis en pratique sans retenue toutes les manœuvres et tous les montages rendus possibles par les règles qu’il avait lui-même mises en place. Rachats à la hussarde, architecture alambiquée, endettement massif, organigramme digne d’un mobile de Calder : il a constitué par ces moyens acrobatiques un groupe de distribution international gigantesque, qui s’est révélé, au bout de la route, un colosse aux pieds d’argile, miné par l’emprunt et par une gestion paranoïaque.

Trente ans plus tard, donc, la morale de l’histoire apparaît en pleine lumière : le groupe Casino, financé à coups d’emprunts hasardeux, était un artefact de l’économie du même nom. Ce qui confirme, si besoin en était que la libéralisation de la finance a transformé l’économie en mondiale, déjà passablement brutale, en jungle implacable, gouvernée par la spéculation. Naouri en fut l’un des fondateurs. Il en est aujourd’hui la victime, et ses salariés avec lui.

Laurent Joffrin