L’ère réactionnaire

par Boris Enet |  publié le 15/11/2024

Le 23 novembre 1977, Chris Marker réalisait un documentaire inspirant une génération militante : « Le fond de l’air est rouge ». A la faveur de la défaite démocratique du 6 novembre dernier, l’air est devenu franchement réactionnaire. 

Donald Trump et Elon Musk assistent au gala de l'America First Policy Institute le 14 novembre 2024 à Palm Beach, en Floride. (Photo de Joe Raedle / Getty Images via AFP)

Ce n’est ni un accident ni un simple retour à l’isolationnisme américain. C’est une lame de fond qui contamine les droites du monde entier. La France n’y échappe pas.

A peine nommé, le nouveau secrétaire d’État au démantèlement de l’État fédéral, Elon Musk reçoit les chaleureuses félicitations de Guillaume Kasbarian, ministre de la fonction publique hexagonale, dont le moins que l’on puisse dire est qu’elles ne s’embarrassent pas de diplomatie : « …impatient de partager les meilleures pratiques pour faire face à l’excès de bureaucratie, réduire la paperasse et repenser les organisations publiques au profit de l’efficacité des fonctionnaires ». 

La précipitation de l’envoi sur la messagerie du multi milliardaire comme la tonalité employée auprès du sulfureux donateur des MAGA n’est pas un acte manqué. Valérie Pécresse, présidente de la région Ile de France, lui emboîte le pas avec tranchant : « Un comité de la hache antibureaucratique, j’en ai rêvé et Elon Musk va le faire ». Voué hier aux gémonies pour sa vulgarité, sa violence et son inconsistance intellectuelle, Trump se pare donc du costume du nouveau héros, en l’espace de quelques jours. 

Un avertissement sans frais pour la gauche et ceux restés attachés aux services publics : les sauver consiste impérativement à les réformer, faute de quoi la nouvelle droite s’en occupera avec la véhémence du bûcheron 

Néanmoins, que la droite s’attaque avec la régularité du métronome à la fonction publique ne surprendra personne. Après tout, l’école de Chicago et les néolibéraux de la fin des années 1970 ont eux aussi ouvert la voie à la révolution reaganienne des années 1980, déclinée d’une partie de l’Europe à l’Amérique latine avec une brutalité aujourd’hui oubliée. 

Mais la glissade va bien au-delà. 

A l’occasion du procès de Marine Le Pen, démontrant détournements de fonds publics européens au bénéfice du parti frontiste, la droite parlementaire s’en prend maintenant à l’État de droit. Entonnant un refrain bien connu, Gérald Darmanin et nombre de parlementaires de droite n’ont pas de mots assez durs pour soulever l’horreur démocratique consistant à condamner la cheffe de file de l’extrême-droite. Au nom du peuple souverain, comme de bien entendu. Reprenant la vulgate Trumpiste, Lepéniste ou Orbaniste, la droite française oppose la légitimité politique au droit commun rendu par la justice, au fondement de la séparation des pouvoirs. Et pourquoi pas la dénonciation des juges rouges tant qu’à y être ?

Ces deux exemples indiquent une rupture de digue, à la faveur de la victoire trumpiste : dans les têtes comme dans les prises de position. 

Comme tout grand bouleversement, elle interroge et redéfinit le positionnement politique à une échelle globale et non uniquement dans le champ des rapports de force géopolitiques. Les droites françaises, sont encore trop bien éduquées pour s’en revendiquer pleinement, mais rares sont celles et ceux qui en son sein, depuis le 7 novembre au matin, dénoncent avec constance et fermeté la réaction en marche. 

C’est un indicateur de plus qui devrait affoler la gauche de gouvernement, non pour la paralyser, mais pour la hâter dans sa nécessaire refondation, une fois sa rupture actée avec la France Insoumise. 

Si nous entrons pour un temps dans l’ère réactionnaire, la priorité devrait être de la contenir autour de l’attachement au socle démocratique.

Boris Enet