Les babines de Poutine

publié le 16/12/2023

Les palinodies qu’a affichées le Conseil européen des 26 et 27 octobre dernierS ont tout pour réjouir le dictateur russe. Bonnes fêtes, Vladimir !

Le président français François Hollande au palais de l'Élysée à Paris, le 11 mai 2017. -Photo JOEL SAGET / AFP

En cette fin d’année, le président russe ne masque pas sa satisfaction. Tel un ours gourmand devant sa proie, il se lèche voluptueusement les babines. Les bombes qui tombent sur Gaza font oublier aux yeux du monde celles qui, chaque jour, s’abattent sur Kiev. Il pousse le cynisme jusqu’à proposer une aide humanitaire et une assistance médicale aux Palestiniens quand sa propre armée commet depuis deux ans des crimes de guerre qui n’ont pas épargné les hôpitaux ukrainiens.

Il réaffirme effrontément les objectifs qu’il avait énoncés lors de l’invasion de son voisin, à savoir la « dénazification » et la démilitarisation de l’Ukraine, pour lui imposer un statut de neutralité qui la priverait non seulement de tout soutien de la part de ses alliés, mais surtout de toute capacité d’assurer sa sécurité.

Face à cette arrogance belliqueuse, et à cette posture agressive, le Conseil européen qui s’est réuni brièvement jeudi n’a pas été – c’est le moins que l’on puisse dire – à la hauteur du défi. Certes, il a décidé d’ouvrir les négociations d’adhésion de l’Ukraine à l’Union. Mais chacun sait qu’elles prendront des années. Soixante décisions sont requises à l’unanimité pour finaliser l’opération et il n’est même pas sûr qu’elles déboucheront sur une entrée effective de l’Ukraine, dès lors qu’il faudra que les 27 ratifient explicitement, par un vote de chacun de leurs Parlements ou par référendum, les conclusions de l’accord éventuel.

C’est pourquoi l’abstention d’Orban ne préjuge nullement de son acceptation le moment venu. La Hongrie n’est d’ailleurs pas seule. Il y a aussi la Slovaquie et peut-être d’autres… Pourquoi pas demain la Suède, l’Italie, et même la France, dans le cas où l’extrême-droite parviendrait au pouvoir ?

Au moment où la ligne de front se fige et où les militaires ukrainiens sont saisis par le doute, c’est une piètre consolation pour Zelensky

Si Zelensky s’en est réjoui, il n’est pas dupe. C’est une victoire purement symbolique. Elle l’aide politiquement auprès d’une opinion publique attachée par-dessus tout à l’ancrage européen qu’elle souhaite depuis tant d’années. Mais au moment où la ligne de front se fige et où les militaires ukrainiens sont saisis par le doute, c’est une piètre consolation.

L’incapacité du Conseil européen à se mettre d’accord pour accorder une aide financière de 50 milliards à l’Ukraine dans le cadre du budget communautaire vient doucher l’espérance d’un pays qui subit depuis deux ans une guerre au nom des valeurs démocratiques d’une Europe pourtant bien rétive à les défendre aujourd’hui. Humiliation supplémentaire : la résistance vient d’Orban, un dirigeant qui les bafoue allègrement et qui est un allié objectif de Poutine. La Hongrie a même demandé – et sûrement pour partie obtenu – les fonds qui avaient été gelés par la Commission européenne en raison des manquements qu’elle inflige régulièrement aux traités.

Cette palinodie démontre l’inanité des procédures européennes qui donnent à tout pays membre un droit de veto sur la politique étrangère de l’Union. Poutine peut sourire et même s’abandonner à une douce somnolence. Pour l’Europe, rien ne presse et, pendant ce temps-là, les États-Unis – surtout occupés de la situation d’Israël à la veille des élections – se déchirent sur la poursuite de la fourniture d’équipements militaires à Kiev.

La force des dictateurs ne réside pas seulement dans la force de leurs armées. Elle provient aussi du temps qu’ils se donnent pour parvenir à leurs fins. La patience est leur arme la plus efficace. Ils savent que les démocraties sont pusillanimes, fragmentées, que leurs procédures de décision sont lentes, complexes et parfois obscures et que leurs dirigeants se fatiguent vite quand l’effort se prolonge. Le Conseil européen en a fourni une triste illustration. À mesure que le climat économique s’assombrit sur notre continent et que les dettes publiques des États s’accumulent, l’intendance l’emporte sur l’indépendance.

Si bien que Poutine peut tenir une conférence de presse – sans presse – pour prononcer ses diatribes, se moquer de l’Occident. Il peut mobiliser encore des troupes qui sont de moins en moins disponibles ; il va jusqu’à demander aux femmes russes de faire des enfants et de renoncer à leur appartement pour préparer les batailles de demain ; il organise sa réélection sans risque puisqu’il a enfermé – et peut-être même supprimé – ses opposants.

La joie qu’il affiche depuis quelques jours devrait nous réveiller.