Les Carnets du Festival : « Silence et fureur »

par Tewfik Hakem |  publié le 13/05/2024

Le 77ème Festival de Cannes au jour le jour, à travers l’œil de notre envoyé spécial, un amoureux du cinéma, libre et critique.

Affiche officielle - D.R

À quelques heures de la cérémonie d’ouverture du Festival de Cannes 2024, on peut encore gouter au silence qui berce habituellement cette petite ville pépère et mémère de la French-Riviera. Le silence n’est pas l’absence de bruit mais, par exemple, la possibilité depuis sa chambre d’hôtel situé au centre-ville, d’entendre distinctement la mer, les scooters qui pétaradent rue d’Antibes, le doux brouhaha du bistrot d’en-bas, le léger vent d’été qui souffle sur les palmiers… 

Tout cela sera bientôt étouffé par le vacarme du plus puissant festival international de cinéma, mais on ne se plaint pas, on est même venu spécialement pour ça. Comment tous les déchirements du monde d’aujourd’hui vont-ils résonner dans la bulle cannoise ? C’est l’idée de cette chronique. Exercice stimulant en temps normal. Cette année, vu le contexte plombé, le sera-t-il encore plus, beaucoup moins ou plus du tout ? À peu près sur tous les sujets et, surtout, à propos de tous les conflits en cours, de Gaza à L’Ukraine, jamais le monde n’a paru si divisé et les avis irréconciliables. Avec tout cela, Thierry Frémaux, le délégué du Festival de Cannes, espère, dit-il, « un festival pacifique, pacifié, joyeux, généreux, qui ne parlera que de cinéma ». Et une croisière dansante à bord du Titanic ?

Mais le Festival de Cannes n’est pas seulement fait de bruit et de fureur, ses polémiques et interviews promotionnelles, souvent mêlées d’ailleurs, ne sont que la partie émergée de l’iceberg. La plupart du temps, faut-il le rappeler, les festivaliers sont en mode silencieux, dans une salle de projection. 

L’affiche de la 77ème édition célèbre le côté silencieux du Festival de Cannes avec une image bucolique. De dos, cinq personnes (une famille ?) serrés sur un banc, dans un moment de recueillement face à la montagne. L’allusion à la salle de cinéma est poétique, et tous les âges et genres représentés, mais l’image prend plus de profondeur quand on a vu le film dont elle est extraite, Rhapsodie en Aout, l’avant-dernier opus de l’immense Akira Kurosawa.

Une grand-mère rescapée du bombardement de Nagasaki transmet à ses petits-enfants et à son neveu américain sa foi en l’amour et en l’intégrité comme rempart contre la guerre. Le silence qui réunit cette famille dans cette scène correspond parfaitement à la définition inspirée de l’historien  Alain Corbin : « Le silence est une langue de l’âme ».

Il faudra donc tendre l’oreille à tous les silences aussi.  Les silences qui apaisent et les silences qui font peur, les silences imposés et les silences qu’on doit rompre ( à suivre : #Me Too Cinéma France débarque à Cannes). Le silence des soumis et le silence des résistants : « Aujourd’hui, j’ai envie de me taire. Non pas par lassitude ou prétention mais simplement parce que le film très bavard, dit avec des mots bien choisis tout ce que j’ai envie de dire et contient déjà de façon extrêmement limpide sa propre analyse», avait fait valoir Quentin Dupieux, le réalisateur du film d’ouverture, Le Deuxième acte, dans une lettre adressée à la presse après l’annonce de sa sélection en avril. Silence salutaire qu’il va devoir néanmoins mettre en sourdine à Cannes, pour des impératifs promotionnels auxquels quasi-personne n’échappe ici.

Tewfik Hakem