Les cocus du trumpisme

publié le 06/04/2025

Les milieux économiques et les électeurs des classes populaires ont porté Trump au pouvoir. Ils en seront sans doute les premières victimes.

Par Sébastien LÉVI

Des gens se rassemblent pour protester contre l'administration Trump lors de la manifestation « Hands-Off » au National Mall à Washington, le 5 avril 2025. (Photo Bryan Dozier / Images du Moyen-Orient via AFP)

L’annonce de droits de douane record a plongé l’économie mondiale dans l’incertitude et les marchés financiers dans le chaos, avec des baisses record jeudi 3 et vendredi 4 mars.

Le choc est d’autant plus brutal que les éloges ne manquaient pas sur « Trump le businessman » qui serait « bon pour l’économie et la bourse », et que sa réputation permettait à beaucoup de justifier ainsi leur vote et de passer sous silence les outrances du personnage.

Passons ici sur le mythe du « businessman Trump », qui est avant tout un héritier ayant su faire fructifier l’argent paternel sur son nom, sa réputation, bien plus que sur de véritables idées de business qui se sont avérés être des gouffres et le conduire à faire faillite six fois.

Quant à son succès économique lors de son premier mandat, il tient plus à son extraordinaire capacité à se vanter qu’à la réalité. Certes, l’économie s’est bien portée (excluons le COVID), mais moins bien que sous Obama ou Biden, et il avait aussi fortement bénéficié de l’héritage du premier.

Trump 1.0 était épaulé par une administration compétente. Ainsi, les droits de douane qu’il souhaitait déjà imposer au monde avaient été fortement limités par ses ministres, et seuls quelques-uns avaient été symboliquement imposés. Même situation avec l’OTAN et les alliances internationales, que son équipe de sécurité matinale étaient parvenus à préserver de ses foucades.

Pour ne pas anticiper les dommages que Trump 2.0 allait causer aux États-Unis et dans le monde, il fallait être stupide, naïf, ou plutôt d’une mauvaise foi confondante. Trump avait en effet annoncé la couleur en insistant sur les notions de loyauté et de vengeance contre ses ennemis qui seraient au cœur de son second mandat s’il l’emportait avec deux sujets prioritaires, ses seules véritables obsessions depuis 40 ans, l’immigration et la mondialisation, qu’elle soit politique, militaire ou commerciale, et un sujet nouveau pour lui, mais porteur, le wokisme.

Sur l’immigration et la mondialisation, il estime de longue date que les Américains sont abusés, spoliés et même « violés » par les étrangers, qu’ils soient des individus ou d’autres pays, et il avait clairement indiqué qu’il remettrait en cause l’état de droit aux Etats-Unis pour l’immigration et les alliances internationales des Etats-Unis, sans les limites rencontrées lors de son premier mandat.

Sur le plan commercial, son cabinet est conscient des erreurs de calcul, du raisonnement erroné sur les droits de douane des autres pays et des conséquences dramatiques d’une guerre commerciale, mais ils savent que comme sur tous les sujets la loyauté est le seul critère qui compte pour Trump, et que leur seul moyen de se maintenir à leurs postes est d’acquiescer aux désirs de leur patron, aussi absurdes soient-ils.

La surprise des milieux d’affaires et des marchés financiers, censés analyser la réalité pour la prévoir, est assez sidérante au vu des déclarations publiques de Trump pendant la campagne et depuis son élection. Elle révèle une tendance chez ces milieux ayant largement soutenu Trump à le voir non pas comme un homme impulsif et simpliste, mais un stratège fin négociateur, ce qu’il n’a jamais été dans sa carrière, ni en affaires, ni en politique.

Mais les premiers idiots utiles du trumpisme sont évidemment les électeurs du Trump, en particulier les plus modestes. Ils ont voté pour des prix bas, et se retrouvent avec des mesures inflationnistes qui vont profondément affecter leur pouvoir d’achat, mais aussi leur portefeuille boursier, qui est un élément essentiel pour leurs retraites, du fait du système de capitalisation qui existe aux Etats-Unis.

D’autres idiots utiles du trumpisme se trouvent parmi les électeurs modérés de Trump rebutés par les excès du wokisme ou l’antisémitisme sur les campus, pas assez dénoncés par les démocrates. Ils ont voulu voir en Trump le candidat du « bon sens » : c’était un mythe.

La lutte contre le wokisme sert aujourd’hui de prétexte à une véritable chasse aux sorcières contre les politiques anti-discrimination et même contre la reconnaissance du rôle du racisme dans l’histoire américaine. La lutte contre l’antisémitisme est instrumentalisée pour attaquer la liberté d’expression, la liberté académique et les universités en général.

En faisant faillite six fois, Trump a laissé à chaque fois des petits fournisseurs essorés et grugés. Aujourd’hui et surtout demain, les conséquences des erreurs de Trump seront bien plus lourdes. Elles pourraient provoquer la perte de millions d’emplois et l’effondrement des portefeuilles boursiers de millions d’Américains, notamment parmi ses électeurs les plus fidèles.

Paradoxe : ce sera sans doute l’économie qui finira par causer sa chute politique. Mais d’ici-là, et en comptant sur le fait que les prochaines élections seront libres, que restera-t-il encore de l’Amérique sur les plans économique, des libertés publiques ou de son statut dans le monde ?