Les collabos de Poutine
Ils forment une bande hétéroclite dont les membres sont souvent liés à l’extrême-droite mais viennent aussi de la droite classique et même de l’extrême-gauche.
Ils mènent une campagne subreptice, sur les réseaux ou dans les havres accueillants de la fachosphère, hurlant à la censure alors qu’ils s’expriment en toute liberté, pour tenter de relativiser l’attaque russe contre l’Ukraine et de renvoyer dos-à-dos les belligérants, ce qui revient à mettre sur le même plan agresseur et agressé et à épauler, par ces moyens indirects, la propagande du Kremlin.
Ils sont les collabos de Poutine.
On en trouve un échantillon remarquable dans une revue parue récemment, au luxe éditorial digne d’un oligarque patron de presse, quoique fort mal écrite. Selon la tactique de victimisation habituellement employée par l’extrême-droite, elle est intitulée Omerta, ce qui désigne la supposée loi du silence imposée par « le système » aux esprits libres qui défendent une « vérité qui dérange » sur l’Ukraine.
Quelle vérité ?
Celle qu’expose en premier lieu l’inévitable Michel Onfray, devenu, à force de zigzags idéologiques, le polygraphe officiel du nationalisme le plus obtus. Pour ce philosophe passé du nietzschéisme de gauche à un maurrassisme péremptoire, le soutien des démocraties européennes à l’Ukraine a été organisé par « les diktats » d’Ursula Von der Leyen, présidente de la Commission de Bruxelles, décidée à procurer à l’Union européenne un « espace vital » conquis au détriment de la Russie.
On aura reconnu, dans ce vocabulaire choisi, le glossaire nazi, ce qui revient à comparer cette démocrate-chrétienne allemande sans grand pouvoir, qui se contente d’exprimer la position quasi unanime des démocraties de l’Union, à Adolf Hitler. Comparaison subtile et profonde à la fois…On trouve ensuite Régis Le Sommier, ancien de Paris-Match, animateur de la revue, qui signe des reportages édifiants sur le courage des soldats russes et la justesse de leur cause.
Viennent ensuite Maurice Gourdeau-Montagne, diplomate plutôt nuancé soudain enrôlé dans cette opération de désinformation, le mirobolant Arno Klarsfeld, polémiste surtout connu pour ses rollers, Jacques Sapir, économiste venu de l’ancien Front de Gauche passé à la droite souverainiste la plus rigide, ou encore Henri Guaino, ex-gaulliste et néo-sarkozyste, devenu prêcheur du relativisme poutinoïde.
Personnages incongrus et marginaux ? Certes.
Mais aussi pourvoyeurs d’éléments de langage pour le redoutable écosystème de l’extrême-droite en France, pétri d’admiration pour le conservatisme agressif de Vladimir Poutine et acharné à trouver les arguments les plus spécieux pour le défendre.
Jacques Sapir – Photo by leemage / Leemage via AFP
Comme dans toute propagande efficace, ce discours contient des bribes de vérité. On remarque que la démocratie ukrainienne est imparfaite (elle a vécu une existence quelque peu chaotique depuis l’indépendance, la corruption n’y est pas rare, le pays est profondément divisé entre l’ouest pro-européen et l’est prorusse). On souligne que le pays entretient un lien trouble avec son passé, en célébrant certains héros nationalistes qui ont collaboré avec les nazis (d’où le discours antinazi de Poutine) et qu’il existe encore aujourd’hui en Ukraine des groupes se rattachant à l’hitlérisme.
Arno Klarsfeld – Photo ludovic MARIN / POOL / AFP
On fustige enfin l’OTAN et les nations occidentales qui n’ont pas su, après la chute du communisme, instaurer dans cette partie du monde un système de sécurité collective satisfaisant, propre à apaiser les craintes russes et qui soutiennent à bout de bras le régime de Kiev. Le tout étant bien sûr enrobé dans la dénonciation de la guerre en général et la nécessité de trouver des solutions diplomatiques ( lesquelles ont été rejetées avec force par Vladimir Poutine ).
Maurice Gourdeau-Montagne ( D.R )
Mais on oublie de rappeler que Volodimir Zelenski a été élu à plus de 70 % dans un scrutin régulier contrôlé par des observateurs indépendants ; que les libertés publiques ont toujours été respectées dans la nouvelle Ukraine ; que c’est le peuple ukrainien – et non une élite soi-disant manipulée par les États-Unis – qui a formellement exprimé sa volonté de se rapprocher de l’OTAN et de l’Union européenne (par peur des Russes et par attachement aux valeurs démocratiques…). Enfin que l’extrême-droite, certes présente, a obtenu à peine 2 % lors des dernières élections législatives, soit nettement moins que dans beaucoup de pays d’Europe. Et, in fine, que cette guerre oppose bien une démocratie pacifique à une dictature impérialiste.
Henri Guaino -Photo Lionel BONAVENTURE / AFP
Bref, la mise en avant de cette fausse « vérité qui dérange » n’a pas pour objet de nuancer une vision trop manichéenne du conflit ou de rappeler les erreurs occidentales.
Elle vise à relativiser l’agression russe et créant une fausse symétrie entre le pays attaqué et le pays attaquant, de manière à suggérer que l’action de Poutine, au bout du compte, n’est pas illégitime.
Ainsi se poursuit, sous une forme nouvelle et indirecte, le soutien apporté par l’extrême-droite à un dictateur identitaire qui a pour grand mérite à ses yeux de dénoncer « la décadence » de nos sociétés libres et de s’opposer à l’Union européenne honnie et dénigrée.
« Il nous faudrait un Poutine français », disait Éric Zemmour avant le conflit.
L’extrême-droite ne le dit plus. Elle le pense toujours.