École : Le Kulturkampf de Zemmour

par Boris Enet |  publié le 24/05/2024

Éric Zemmour organise le harcèlement des enseignants dont les cours ne lui plaisent pas. Haro sur les valeurs de la République !

Rassemblement du parti Reconquete contre l'offensive islamique dans les écoles, place Samuel Paty à Paris- Photo Carine Schmitt / Hans Lucas

En 2022, dans la foulée de sa déconvenue électorale, Éric Zemmour se persuade de la nécessité de la bataille culturelle scolaire. Ces comités « Protégeons nos enfants » lui fournissent désormais un fichier de près de 60 000 parents prêts à ferrailler contre le « grand endoctrinement » à l’école et à l’université. Une stratégie encore embryonnaire, mais décomplexée, portée par Agnès Marion, porte-parole de l’association constituée contre « l’idéologie woke »… et cadre de Reconquête.

Le 4 décembre dernier, à l’invitation du  sénateur Stéphane Ravier, transfuge du RN, opposé à la constitutionnalisation de l’IVG, se tenait au palais du Luxembourg, un colloque accueillant une myriade de groupuscules dont « SOS Éducation » lié au mouvement « Sens commun » lui- aussi très conservateur. La réunion s’est conclue par un double discours de Zemmour et Marion Maréchal. Une stratégie loin d’être anecdotique .

Dans les cafés pédagogiques jusque dans les couloirs du ministère de l’Éducation nationale, l’offensive préoccupe d’autant qui a déjà fait des victimes chez les enseignants, telle Sophie Djigo, professeure de philosophie en prépa à Valenciennes, spécialiste des questions migratoires, contrainte d’annuler sa sortie scolaire puis de muter devant les menaces. Sciences et vie de la terre, Éducation morale et civique, histoire ou lettres, les disciplines sont nombreuses où la croisade destinée à défaire les valeurs républicaines, dont celle des Droits de l’Homme, mène ses attaques. Contre l’éducation sexuelle, l’enseignement de l’esclavage ou ce qu’ils nomment le « lobby immigrationniste », Reconquête tisse sa toile, relayée par les réseaux identitaires comme « Français de souche » ou « Riposte laïque ».

Dénonçant nominativement enseignants ou infirmières scolaires, encourageant la délation comme aux plus belles heures de la Collaboration, les intimidations numériques commencent à peser . « Enseigner la réalité des faits (…) devient une prise de risques et l’enseignement, un métier dangereux ». Sophie Djigo résume un sentiment de plus en plus partagé alors que l’offensive islamiste a parallèlement endeuillé l’école ces dernières années.

Contre les innovations pédagogiques et la liberté des enseignants, rien de neuf pour l’extrême-droite lorsqu’on se remémore Célestin Freinet, pédagogue alternatif attaqué par l’Action française au cœur des années 30. Plus près de nous, il faut suivre les méandres de l’Escaut pour apprécier le niveau de l’attaque en cours. En Belgique, l’hystérie extrémiste mêlant au coude à coude islamistes et identitaires, a conduit à des dégradations sur les bâtiments scolaires. Aux États-Unis, la vague réactionnaire a pris une ampleur telle dans la mouvance trumpiste et évangéliste que dans de nombreux états,  Darwin se retrouve face aux « théories créationnistes » sur la même page des manuels scolaires. Nous n’en sommes pas encore là, mais…

Boris Enet