Les faux martyrs de CNews
La chaîne bolloréenne pousse des cris déchirants depuis que le Conseil d’État a semblé donner raison à ses adversaires.
Que dire de la furieuse polémique qui a éclaté depuis que le Conseil d’État a mis indirectement en cause CNews, la chaîne très droitière possédée par Vincent Bolloré, sinon qu’elle présente deux caractéristiques qui n’aident guère à éclaircir le débat sur le pluralisme à la télévision : l’outrance et la confusion.
L’outrance ? À peine l’avis du Conseil était-il connu que l’empire Bolloré, à la manière du Parti communiste des années cinquante, sortait la grosse artillerie, façon Grosse Bertha ou canons de Navarone. Journalistes et présentateurs de la chaîne et de ses cousines du PAF, groupés telle une phalange grecque, ont entonné en chœur le grand air de la liberté d’expression bafouée, de la censure restaurée et de l’esprit mis au cachot. Quelques idiots utiles du bolloréisme triomphant se sont mis de la partie pour dénoncer le « Big Brother » du Palais-Royal, décidé selon eux à étouffer les voix dissidentes et à donner à l’Arcom, l’autorité de régulation des médias, le pouvoir de composer elle-même les programmes des chaînes, en lieu et place de leurs dirigeants.
La loi
La confusion ? Ce tintamarre grotesque a camouflé le point-clé de l’affaire. En effet, si le Conseil d’État s’est permis de donner son avis, c’est parce qu’après avoir été saisi par Reporters Sans Frontières du cas de CNews, il s’est reporté à la loi, comme il le fait habituellement. Cette loi, rappelons-le, a été votée en 1986 à l’initiative de feu François Léotard, ministre de la Culture et de la Communication dans un gouvernement Chirac, et qui n’était pas précisément connu pour ses convictions d’extrême-gauche, ni pour sa vocation de censeur de la pensée libre.
Que dit-elle ? Qu’en échange de l’attribution gratuite d’une fréquence par les pouvoirs publics, les chaînes doivent se conformer à une charte de bonnes pratiques. Pour aller dans un sens politique plutôt que dans un autre ? Certainement pas. Le texte prévoit que les chaînes doivent respecter « la dignité de la personne humaine », appliquer quelques principes élémentaires de déontologie journalistique, s’abstenir de divulguer des éléments couverts par le secret défense, donner une place convenable aux minorités, défendre la langue française et s’assurer que les différents courants de l’opinion soient équitablement représentés. Pas de quoi crier au contrôle étatique sur les programmes…
C’est sur ce dernier point que porte bien sûr la polémique. Jusqu’à présent, l’obligation de pluralisme se matérialisait par un décompte strict des temps de parole dévolus aux différents partis concourant aux élections, en raison de leur force respective. CNews est d’ailleurs sur ce point inattaquable : la chaîne applique avec précision les règles définies par le contrat initial, donnant au PCF, au PS, à LR ou au Rassemblement national un temps d’antenne proportionnel à leur représentativité.
Et l’esprit
Mais là où les choses se compliquent, c’est que CNews s’écarte manifestement de l’esprit de la loi dès qu’il s’agit, non pas d’un débat entre responsables politiques, mais des discussions qui réunissent experts, éditorialistes ou chroniqueurs. Certes, là aussi, les voix de gauche sont présentes. Mais c’est la plupart du temps face à une solide escouade d’intervenants issus de la droite dure, qui occupent, en proportion de leur nombre, la plus grande partie du temps d’antenne, renforcés par les interventions incessantes d’un présentateur qui est tout sauf un arbitre neutre. Très souvent, les plateaux de CNews, tout en respectant scrupuleusement la parole des contradicteurs, ressemblent à un pâté d’alouette, dont le recette consiste, comme on sait, à l’allonger avec de la viande de cheval, dans une proportion parfaitement équitable : un cheval, une alouette, un cheval, une alouette… En l’occurrence, un cheval de droite, une alouette de gauche.
D’où la réaction du Conseil d’État, qui pose légitimement la question de l’équité du système. Bien sûr, il n’a jamais été question de demander aux intervenants des chaînes, experts ou journalistes, de se définir par une étiquette partisane de manière à les intégrer dans le décompte existant (ce que beaucoup seraient en peine de faire, ou bien refuseront, en tout état de cause, peu soucieux de se rattacher à tel ou tel parti). Roch-Olivier Maistre, le patron de l’Arcom a été net sur ce point, comme c’était son devoir. Autrement dit, comme les enfants, les dirigeants de CNews crient avant d’avoir mal.
En revanche, la question du respect de l’esprit de la loi se pose bel et bien. On pourra trouver normal qu’une chaîne privée, quelle qu’elle soit, choisisse un biais politique particulier, à la manière de ce qui existe dans la presse écrite. Personne ne demande à l’Humanité ou à Valeurs Actuelles de donner la parole à égalité à ceux qui vont dans leur sens et à ceux qui les contredisent. La presse engagée est licite, l’État n’a rien à dire sur ce point. En va-t-il de même sur les fréquences de la TNT, limitées en nombre et concédées gratuitement par la puissance publique, qui a décidé – il y a près de cinquante ans – de poser le principe d’un pluralisme équitable ? Telle est la vraie question posée par cette controverse embrouillée à loisir par la fièvre partisane.
La réponse n’a rien de simple. Sur quels critères de prononcer ? Comment juger du caractère partial ou impartial d’un débat à partir d’éléments précis et incontestables ? Et si l’on demande à CNews de modifier sa formule, qu’en sera-t-il des autres chaînes, à qui on peut parfois imputer les mêmes défauts, même s’ils sont moins voyants ? Roch-Olivier Maistre a demandé à ses services de travailler le dossier pour définit des règles claires. On leur souhaite bien du plaisir…