Les ficelles de Barnier

par Sylvie Pierre-Brossolette |  publié le 08/10/2024

Il joue les candides… Mais pour faire passer ses mesures de réduction du déficit, il utilise toutes les recettes de la tactique politique.

Dessin de Bendak

On lui donnerait le bon Dieu sans confession. Michel Barnier affirme, la main sur le cœur, qu’il n’a aucun agenda personnel, qu’il ne vise pas 2027 et qu’il peut donc braver l’impopularité. Le chef du gouvernement n’a en réalité rien d’un kamikaze. Ce faux naïf est un vrai madré qui se sert de toutes les pratiques de ses prédécesseurs : triangulation, mithridatisation, procrastination et …communication

La triangulation : cette technique consiste à prendre son adversaire à revers. En annonçant que 20 milliards d’impôts toucheraient les plus riches contribuables et les plus grosses entreprises, le Premier ministre a pris la gauche à contrepied. Celle-ci s’apprêtait à dénoncer l’injustice fiscale d’une droite à la solde des privilégiées, elle en est réduite à écouter le concert de protestation des leaders de l’ex majorité, Gabriel Attal et Gérald Darmanin en tête, qui menacent de ne pas voter les nouveaux impôts tout en sachant qu’ils ne censureront pas le gouvernement. Les « riches » ne descendant pas dans la rue, Michel Barnier peut avancer sans crainte, il a l’opinion – gauche comprise – avec lui sur ce point.

La mithridatisation : c’est l’art d’inoculer le poison au compte-goutte pour y habituer l’organisme. C’est ainsi qu’il a été procédé avec l’annonce des impôts, précisés peu à peu, au point de les rendre, sinon indolores pour les contribuables concernées, du moins presque acceptables. Barnier a d’abord promis de la justice fiscale, puis annoncé qu’elle ne toucherait pas les classes moyennes et modestes, enfin qu’elle viserait « provisoirement » les super riches. Les esprits ont eu le temps de se faire à la fin du dogme « pas de hausse d’impôts », ligne écarlate du macronisme. Même son concepteur a fini par bénir l’opération et les chefs d’entreprise s’y sont résignés en soupirant.

La procrastination : elle consiste à repousser les décisions difficiles. La réforme de l’assurance chômage est rendue au dialogue social, celle des retraites soumises à des aménagements à négocier avec les partenaires sociaux. Le Premier ministre a quand même tenté d’avancer sur d’autres mesures impopulaires : désindexation des retraites pendant six mois ou hausse de la taxe sur l’électricité. Cela touche les « gens d’en bas » et ne correspond pas à la promesse initiale de ne pas frapper les plus défavorisés. Porte de sortie : si les parlementaires trouvent un autre moyen de financement, ils seront bienvenus. Ils seront alors responsables des mesures adoptées. Pas sûr que l’allongement du temps de travail, dernière solution avancée, soit appréciée par les Français.

La communication : Michel Barnier avait promis davantage d’actes que de paroles. Il ne se prive tout de même pas de lancer de bons mots. Notamment à son meilleur ennemi Gabriel Attal, qu’il a ridiculisé à l’Assemblée nationale en lui disant qu’il serait réceptif à toutes ses idées de réduction de dépenses avant de préciser, cinglant, qu’elles seraient utiles pour résorber le déficit qu’on lui avait laissé… Le prédécesseur a ri jaune. Pour le calmer, Barnier l’a, un peu plus tard, assurer de sa grande « estime ». Je claque, je répare… Le Premier ministre sait mettre les rieurs de son côté. Le vrai-faux naïf est aussi un vrai-faux gentil. En politique averti, il se méfie de tous : lors de la distribution restreinte et confidentielle de son discours de politique générale, quelques heures avant de le prononcer, il avait fait mettre un mot différent dans chaque exemplaire pour repérer qui était le destinataire responsable d’une éventuelle fuite du document. La technique du contre-espionnage dite du bleu de méthylène…

Les recettes classiques suffiront-elles pour surmonter les difficultés d’une situation inédite ? Elles permettront peut-être à Michel Barnier d’éviter une révolte populaire et de passer le cap parlementaire. Mais elles frustreront ceux qui auraient aimé que l’occasion soit saisie de procéder à des réformes en profondeur. La France en a besoin. Michel Barnier n’en a sans doute ni le temps ni les moyens.

Sylvie Pierre-Brossolette

Sylvie Pierre-Brossolette

Chroniqueuse