La Borne et la Bête

par Boris Enet |  publié le 21/03/2025

Tandis qu’Élisabeth Borne annonce des mesures de protection des enfants, sa numéro 2, Caroline Pascale, suspend l’illustration d’un classique, La Belle et la Bête, par le dessinateur Jul.

Élisabeth Borne devant l'Élysée, le 19 mars 2025. (Photo de Ludovic Marin / AFP)

« Brisons le silence, agissons ensemble », c’est le slogan de la tardive prise en compte par le Ministère de l’Education nationale des maltraitances subies par les enfants dans les établissements privés sous contrat, connues, répétées et tues depuis des décennies. La remontée des faits s’impose enfin avec un dispositif de signalement des violences et l’utilisation de l’application « Faits établissement », courante dans le public.

Tous les établissements, publics et privés, devront également se doter d’une fiche procédure pour garantir un traitement efficace des signalements. Dès la rentrée 2025, le recueil de la parole des élèves comprendra des questionnaires anonymes trimestriels pour les élèves en internat, ainsi qu’après chaque voyage scolaire avec nuitée.

L’actualisation de la plateforme 119 (numéro d’urgence pour l’enfance en danger) facilitera les signalements avec la garantie de réponses immédiates. Une alerte sera également adressée aux équipes académiques. Enfin, le renforcement des contrôles au sein des établissements privés sous contrat, élargis au climat scolaire et à l’absence de maltraitance, sera assuré par le recrutement de 60 nouveaux inspecteurs entièrement affectés à ces établissements. Un début d’effort incontestable qu’il conviendra de renforcer, tant la loi de l’omerta et de la compromission est ancrée dans les milieux confessionnels, scolaires et parascolaires. Enfin, une mission d’appui au sein de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche renforcera la formation des inspecteurs et la supervision des contrôles. Des signaux positifs et attendus, ternis par une polémique dans l’air du temps.

Que reproche donc Caroline Pascal, directrice de l’enseignement scolaire au dessinateur Jul, pourtant choisi pour illustrer le conte La Belle et la Bête, dans la version écrite par Jeanne-Marie Leprince de Beaumont ? Nul ne le sait très bien lorsque, ce 17 mars, la commande des 900 000 exemplaires de ce classique parmi les classiques à destination des élèves de CM2, a été suspendue.

Illustrateur de talent, dessinateur confirmé en littérature jeunesse, inspiré par Gotlib ou Goscinny, Julien Berjeaut de son vrai nom, agrégé d’histoire, était incrédule. Depuis 2017, le Ministère de l’Éducation Nationale sous la conduite de J-M Blanquer avait contractualisé un partenariat avec la maison d’édition des Musées Nationaux afin de proposer un roman, marquant le passage du primaire au secondaire.

Si Caroline Pascal ne conteste nullement l’initiative, elle juge les illustrations inadaptées abordant « des thématiques qui conviendraient à des élèves plus âgés ». L’auteur de Silex and the City dénonce une argumentation spécieuse, invoquant la censure : « Franchement, on croirait Trump et son administration lorsqu’ils se sont attaqués aux livres et à l’éducation… ».

Un évident malaise repris par nombre de commentateurs, mais également de pédagogues possédant une connaissance fine de la vieille maison. Madame Pascal, nommée par le chef de l’État comme il en est d’usage, est aussi la compagne de Camille Pascal, historien, conseiller d’État de Nicolas Sarkozy et ancienne plume de ce dernier. Sans contester le professionnalisme de cette universitaire, haute fonctionnaire, antérieurement choisie à Élisabeth Borne, la suspicion d’une orientation pédagogique et politique ouvertement conservatrice, est entretenue, bien au-delà des cercles syndicaux.

Illustration de cette polyphonie, la Ministre d’État avait commencé à préfacer l’ouvrage désormais interdit à publication par son propre ministère, louant le « voyage visuel sublimé », la « touche malicieuse » et la « modernité nouvelle » des dessins de Jul. De quelques progrès au retour de la censure, à l’image du gouvernement actuel, l’orientation est également plurielle, rue de Grenelle…

Boris Enet