Les idiots utiles de la censure

par Laurent Joffrin |  publié le 09/05/2023

De plus en plus, les activistes de diverses causes s’en prennent à des tableaux ou à des sculptures. Des actes – réels ou symboliques – qui n’ont rien d’anodin

portrait de Laurent JOFFRIN le 23 juillet 2020

« Quand j’entends le mot culture, je sors mon bol de soupe… » Tel est, semble-t-il, le mot d’ordre des nouveaux combattants de l’art. Pour exprimer leur opposition, pour attirer l’attention sur leur cause et imposer leur manière de voir, ils s’en prennent aux œuvres avec des armes inédites.

On se souvient de la formule initiale, due à Joseph Goebbels : « quand j’entends le mot culture, je sors mon revolver ». La soupe plutôt que le plomb : on admettra qu’il y a là un progrès. L’ennui c’est que, même sur un mode pacifique et quelque peu bouffon, la cible est la même : les œuvres d’art.

Dernière en date : la toile controversée « Fuck abstraction ! », de Miriam Cahn, exposée au Palais de Tokyo, où l’on voit une scène de fellation forcée entre un homme sans visage et un personnage de petite taille, destinée à illustrer la barbarie de la guerre.

Le tableau avait déjà suscité des plaintes pour apologie de la pédopornographie, déboutées par le tribunal administratif de Paris et par le Conseil d’État. Cette fois il a été aspergé de peinture mauve contenue dans un flacon de sirop. Selon Le Monde, le vandale est l’ancien chef du groupe Front national au conseil municipal des Mureaux.

Autres motifs, autres aspersions. Les Tournesols de Van Gogh ont reçu de la soupe à la tomate et Les Meules de Monet de la purée. Moins intrusif : des militants se sont collé les mains sur la vitre de protection de La Jeune Fille à la perle de Vermeer… Trois exemples d’une longue série d’agressions symboliques.

Cette fois, ce sont des militants écologistes qui ont visé ces tableaux – plus exactement, les parois transparentes qui les protégeaient – pour alerter l’opinion sur les dangers du dérèglement climatique. Mais les agressions sont parfois moins inoffensives. En octobre 2014, à l’occasion de la Fiac à Paris et d’une exposition conjointe à la Monnaie de Paris, l’artiste américain Paul McCarthy installe sur la Place Vendôme un immense sapin de Noël vert. L’artiste, provocateur, a créé un sapin de Noël semblable à un sex-toy.

Alors qu’il se trouvait Place Vendôme près de sa sculpture, il a été agressé et sa sculpture plusieurs fois dégonflée… au point que l’artiste a fini par céder et accepter de retirer le sapin. L’artiste britannique Anish Kapoor a lui aussi été en butte à la même intolérance lors d’une installation dans les jardins du château de Versailles, en 2015. À trois reprises, sa sculpture a été souillée par des inscriptions royalistes et antisémites, à la peinture.

Les esprits forts diront que les actions des écologistes ne sauraient être mises sur le même plan que les autres : elles ne touchent pas directement les œuvres et visent, non pas à les dénoncer, mais à faire parler de leur cause. L’argument serait recevable si le symbole n’était pas le même : l’art est vandalisé par des activistes. Funeste précédent. Outre que, dans tous les cas, ces agressions enfreignent la loi, elles brisent un des rares et bienfaisants tabous des sociétés démocratiques : la liberté des artistes et leur droit de s’exprimer en paix.

Les auteurs de déprédations bien réelles sont des vandales. Mais les soi-disant lanceurs d’alerte qui agissent symboliquement sont des idiots utiles de la censure. Croyant œuvrer pour le bien, ils montrent la voie à tous les censeurs de la terre.
Croyant faire avancer leur cause, ils font reculer la liberté.

Laurent Joffrin