Les impôts : les augmenter ou les répartir ?

par Bernard Attali |  publié le 29/03/2024

Les pouvoirs publics s’obstinent : attention, tabou, pas d’augmentation d’impôts ! Mais chacun sait que les vaches sacrées font d’excellents hamburgers

Le déficit public – c’est maintenant un fait acquis – atteint un niveau intolérable. Les agences de notation vont nous le faire savoir très vite. Or les économies budgétaires sont très difficiles à réaliser dans le contexte actuel. Alors ?

D’abord le problème est mondial, comme nous l’écrivions déjà en octobre dernier. Publié alors par l’Observatoire européen de la fiscalité, un rapport démontre que les très grandes fortunes ne paient quasiment pas d’impôts – 0 % à 0,5 % – sur leur patrimoine. Ce, grâce aux diverses techniques d’optimisation permettant d’éviter que les revenus qu’ils génèrent, comme les dividendes, soient imposables. Tous impôts confondus, ils sont donc moins imposés que les classes moyennes.

Taxer 2 % de la richesse des 2 756 milliardaires de la planète (dont 75 en France), dont la fortune totale culmine à 13 000 milliards de dollars, rapporterait 250 milliards d’euros. On imagine combien de telles sommes pourraient aider à résoudre le problème climatique de la planète !

Face à ces enjeux, une réforme fiscale a été approuvée par l’Union européenne en décembre 2022. Désormais, quel que soit le pays dans lequel une multinationale déclare ses bénéfices, ces derniers seront in fine taxés à un taux minimal identique de 15 %. En traitant le sujet au niveau de l’Europe on limite de plus le risque « d’exil ». Cette réforme marque un progrès, certes, mais la recherche d’un large consensus a conduit à appliquer un taux mondial d’imposition faible, assorti d’exonérations qui en limitent la portée. 

En soutenant que la pression fiscale globale est excessive -ce qui est vrai, en France en tous cas- les dirigeants cachent le problème central, celui de sa répartition ! Pourtant, affronter le sujet sous l’angle de la redistribution peut sortir du débat caricatural entre une droite qui fait de la hausse de la fiscalité une ligne rouge et une gauche qui voit dans l’impôt une solution à tous les problèmes.

Ce qui est sûr c’est qu’aucun pays ne peut progresser avec un corps social éclaté entre un très petit nombre de privilégiés et un très grand nombre de laissés pour compte. Même les économistes libéraux confessent depuis peu que les inégalités sociales sont devenues un frein à la croissance économique.

La France, en ce domaine, se distingue : notre système fiscal est de moins en moins progressif alors qu’il s’agit là d’un pilier de notre contrat social depuis… l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Mais voilà : il suffit – quand on le peut- de faire basculer ses revenus de l’IR à l’IS pour alléger son impôt… Dans la situation de disette où nous sommes on imaginerait aussi que soit rediscuté, le problème de l’impôt sur les successions au moins au-delà d’un certain patrimoine. N’y pensez pas : toutes les forces politiques regardent ailleurs, courageusement. Il serait urgent pourtant, de repenser le problème fiscal en termes d’équité plus que de  quantité. Lorsque demain le gouvernement se resignera à rechercher de nouvelles recettes le choix sera inévitable : ou bien il augmentera la TVA, ce qui pèsera sur la consommation et les classes moyennes, ou bien il devra toucher les profils exceptionnels des grandes entreprises et des grandes fortunes. La fiscalité s’accommode mal du « en même temps »…

Bernard Attali

Editorialiste