Les jeunes plus machos que les vieux

par Sylvie Pierre-Brossolette |  publié le 17/10/2024

L’égalité entre les femmes et les hommes est une idée qui progresse, sauf chez les hommes de moins de 35 ans qui manifestent leurs réticences, voire leur opposition. Deux nouvelles enquêtes confirment cette tendance inquiétante.

Ecole Emile Loubet à Valence, une campagne d'affichage pour sensibiliser à la prévention des violences faites aux femmes, viols et autres agressions sexuelles. (Photo Guyonnet / Hans Lucas - AFP)

C’est contre-intuitif : on imagine a priori que les nouvelles générations, élevées dans des classes mixtes et baignées dans Metoo, adhèrent au principe d’égalité entre les femmes et les hommes. Il faut déchanter. Si les jeunes femmes souhaitent, on comprend pourquoi, aller plus loin sur le chemin de l’égalité et de la lutte contre les violences, leurs camarades masculins ne sont pas tous convaincus, loin de là. Nouvelle guerre des sexes, peur de perdre des privilèges, agacement d’être pointés du doigt ? Toujours est-il que certains jeunes d’aujourd’hui semblent encore plus machos que leurs aînés. Et beaucoup moins égalitaires que les jeunes femmes. C’est ce qu’on appelle en bon français le « modern gender gap ».

Dévoilée à l’occasion de l’université féministe de l’Assemblée des femmes, présidée par l’ancienne ministre Laurence Rossignol, le 12 octobre au Creusot, l’enquête Ipsos réalisée pour la Fondation Jean Jaurès et l’Assemblée des femmes auprès de plus de 11000 personnes entre le 26 juillet et le 1er août 2024 est hélas très claire dans son diagnostic : « On observe des différences sérieuses, voire préoccupantes, entre générations et entre les femmes et les hommes d’une même génération. L’analyse par tranche d’âge confirme la tendance lourde : une réelle dichotomie s’opère entre les jeunes femmes, plus progressistes, et les jeunes hommes, pour certains plus rétifs, voire opposés au féminisme ».

Les hommes de moins de 35 ans se révèlent être parmi les plus défavorables à l’idée d’aller plus loin pour promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes : ils sont plus de 17% à partager cet avis, soit 5 points de plus que la moyenne du panel interrogé, et même plus que leurs aînés (2 points de plus que les 35-59 ans et 4 de plus que les plus de 60 ans). Et contrairement à des idées reçues, c’est chez les diplômés que l’on trouve le plus d’hommes estimant que l’égalité « cela va trop loin ». La culture n’adoucit pas toujours les mœurs…

Laurence Rossignol et Amandine Clavaud, de la Fondation Jean Jaurès, notent une « inquiétante percée de la radicalité masculiniste chez les jeunes hommes ». Car le phénomène de rejet chez eux s’accentue quand il s’agit de féminisme : alors que 15% « seulement » reconnaissent ne pas être en faveur de l’égalité, il y en a encore davantage, 42%, à rejeter le féminisme. Les moins de 35 ans sont même plus nombreux que leurs aînés à affirmer qu’ils ne sont « pas du tout féministes » ! Il faut hélas en conclure que le principe d’égalité ne réunit qu’un consensus de façade. Certains hommes, souvent les plus jeunes, ne sont pas prêts à renoncer à des habitudes et des privilèges séculaires. Un constat déjà établi par le Baromètre du HCE qui alertait en mars 2024 sur l’ancrage du sexisme chez les jeunes hommes. On y découvrait, par exemple, qu’un quart d’entre eux considéraient qu’ « il faut parfois être violent pour se faire respecter en tant qu’homme dans la société ». Les clichés virilistes ont la peau dure.

Un second sondage récent confirme le double décalage des réactions, à la fois femmes-hommes et entre hommes. Publié le 3 octobre, réalisé par IFOP-Fiducial pour Sud Radio et POLLitics le 30 septembre sur 1000 personnes, il interroge notamment les Français sur la gravité des comportements violents, dans le contexte du procès de Mazan. Est-il terriblement grave d’avoir des rapports sexuels non-consentis ? La réponse varie selon l’âge et le genre. Les femmes de moins de 35 ans trouvent cela plus grave que celles de plus de 35 ans (94% contre 89%) alors que c’est l’inverse chez les hommes : seulement 79% des moins de 35 ans contre 84% chez les plus de 35 ans. Entre femmes et hommes de moins de 35 ans, on parvient donc à un écart de perception de 15 points (79 contre 94) sur le degré de gravité du non-consentement. Préoccupant. Sur la question des « coups portés au corps », le décalage s’accroit. Seulement 58% des hommes de moins de 35 ans jugent ces actes terriblement graves contre 83% des femmes de leur génération, créant un écart de 25 points ! Alors que les hommes des générations antérieures sont beaucoup plus sévères dans leur jugement. Et même plus sévères que les femmes de leur âge (81% contre 78).

Comment en est-on arrivé là ? Certains évoquent le phénomène de « backlash », sorte de ras-le-bol des masculinistes déstabilisés par la concurrence des femmes. Il y a sans doute surtout une insuffisance de réaction des pouvoirs publics dans les domaines où ils pourraient agir pour contrer les réflexes sexistes des nouvelles générations : éducation à la vie affective et sexuelle, régulation des réseaux sociaux, contrôle de l’accès à la pornographie. La nouvelle secrétaire d’Etat à l’égalité, Salima Saa, a déclaré qu’il est « temps de passer de la déploration à l’action », constatant que la loi sur l’éducation sexuelle « n’est toujours pas appliquée ». Sur cela, comme sur le reste, il est en effet temps d’enclencher la vitesse supérieure. Sinon le gouvernement sera condamné à régulièrement déplorer la montée des violences sexuelles et à promettre des mesures. Ce que madame Saa a déjà fait, annonçant un plan pour le 25 novembre prochain. Il y a tout à craindre que cet énième plan ne soit pas le dernier …

Sylvie Pierre-Brossolette

Sylvie Pierre-Brossolette

Chroniqueuse