Les livres de l’été: « Le magicien »

par Sandrine Treiner |  publié le 21/07/2023

Un génie littéraire, un homme seul, le roman d’une vie de celui qu’on appelait  Le Magicien. Par l’écrivain irlandais Colm Toibin

Colm Toibin, écrivain irlandais de 68 ans, qui partage sa vie entre Enniscorthy dans le comté de Wexford, son village natal, et les États-Unis, a derrière lui une œuvre impressionnante de romancier, scénariste et journaliste. Ce n’est pas pour autant qu’il jouit, en France, de la renommée qui devrait raisonnablement être la sienne.

Brooklyn, publié en 2009 et adapté au cinéma, est sans doute ici son livre le plus connu. Il met en scène une jeune femme pauvre quittant l’Irlande pour trouver un travail à New York et contrainte de retourner chez elle, la mort dans l’âme, pour s’occuper de sa mère. Le récit du choc civilisationnel entre l’ancien et le nouveau continent. 

En 2004, il crée avec Le Maître un genre littéraire en soi : l’évocation extrêmement romanesque et littéraire, à l’opposé du genre habituel de la biographie d’une figure admirée, celle d’Henry James. Un exploit qu’il a renouvelé récemment avec Le Magicien, traduit par Anna Gibson et publié l’automne dernier aux éditions Grasset.

Le Magicien, c’est Thomas Mann, deuxième fils né à Lübeck en 1875 d’une famille bourgeoise de cinq enfants, qui va épouser la carrière des lettres quand son origine le prédisposait à faire, comme son père, des affaires, devenir l’immense écrivain que l’on sait, prix Nobel en 1929 et s’imposer comme une personnalité intellectuelle européenne majeure.

Guidé par l’évidence d’un fort sentiment de proximité, Colm Toibin l’examine sous toutes les coutures, et raconte avec la fluidité de son talent de romancier, une vie bouleversée par l’Histoire du vingtième siècle. Écrivain gay, Toibin décrit un Thomas Mann homosexuel qui fait le choix d’un mariage avec une jeune fille juive éblouissante, Katia Pringsheim, dont il admire et sans doute désire le frère jumeau.

Curieux de tout, Toibin évoque Mann sur les chemins escarpés de sa vie amoureuse et familiale, il l’accompagne dans son bureau d’écriture, le regarde élaborer ses chefs d’œuvre – Les Buddenbrocks, La Montagne magique, La Mort à Venise, comme s’il y avait été. Il le suit face à la montée du nazisme, en l’exil aux États-Unis, dans ses dilemmes moraux et ses choix politiques. Il le met en prise, après-guerre, avec le malheur de ses enfants et le suicide de son fils, Klaus.

Le Magicien, admirable et bouleversante fresque du vingtième siècle, est porté par un élan qui court sur quelque 400 pages sans jamais s’essouffler. C’est un récit romanesque autant qu’une réflexion sensible sur la figure du grand homme, le génie d’un écrivain, mais aussi sur ce qui fait une vie, tout simplement.

Le Magicien, de Colm Toibin. Traduit de l’irlandais par Anna Gibson. Grasset

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Sandrine Treiner

Editorialiste culture