Les médias publics, voilà l’ennemi !
L’extrême droite entend privatiser Radio France, France Télévisions, France Médias Monde et TV5. Un désastre annoncé.
Annoncé il y a à peine quelques semaines, le projet de réforme de l’audiovisuel engagé par Rachida Dati, avec la création d’une holding du service public, n’a pas survécu à la dissolution. L’heure est désormais à la privatisation de l’audiovisuel, annoncée à corps et à cris par l’extrême droite. Je l’ai dit et répété : seul le service public assure, dans une démocratie, l’équité de l’information, la liberté des créateurs, à l’abri des intérêts particuliers et partisans, des pressions politiques, des fake news et des démagogues. C’est le poumon de la démocratie. Sans service public, plus de liberté d’information.
Le Rassemblement National fait l’analyse, comme Meloni en Italie (ou les frères Kasminsky en Pologne autrefois), que la priorité est de museler les médias publics, cet ennemi irréductible. Ayant parfaitement assimilé Gramsci, oublié par la gauche, l’extrême droite est persuadée que le pouvoir ne se prend pas seulement dans les urnes, mais aussi dans la société civile, en misant sur l’arme intellectuelle et culturelle. Il faut donc détruire le service public, la liberté d’expression, l’esprit critique.
En Italie, le président de la RAI a dû démissionner, remplacé par un proche du pouvoir. Et la censure s’installe : émissions de débats supprimées, expulsions des journalistes suspects de sympathies avec la gauche, pressions de toutes sortes, menaces, etc. En Slovaquie, la bataille fait actuellement rage contre les projets analogues de privatisation voulus par le pouvoir populiste.
En France, où Bolloré a déjà mis la main sur Canal+, une partie de l’édition et de la presse, l’extrême droite veut aller plus loin en privatisant Radio France, France Télévisions, France Médias Monde et TV5 – Arte reste à l’abri, pour l’instant, compte tenu de son statut international. Mais cette volonté se heurte à de nombreuses difficultés : ces entreprises sont totalement intégrées et privatiser une chaîne suppose de les démanteler. Le temps, l’argent pour mener à bien ces opérations, c’est au moins deux ans. L’indépendance de l’information, liberté fondamentale, est à la fois sous l’œil du Conseil constitutionnel et des institutions de Bruxelles, qui n’ont pas manqué de mener une guerre incessante en Pologne et Hongrie pour empêcher la disparition du service public. Nul doute qu’il en sera de même en France. Enfin, il faudra affronter l’opposition des chaînes privées (TF1,M6, notamment), qui verraient d’un mauvais œil le partage d’un gâteau publicitaire, leur seule ressource.
« Il suffit d’étrangler financièrement Radio France et France Télévisions pour qu’elles ne soient plus capables d’assurer leur mission »
Malheureusement, il y a d’autres moyens pour réduire les moyens du service public : l’étrangler financièrement, ce qui est facile, à partir du moment où ses ressources ne sont pas garanties, après la suppression de la redevance. Les crédits étant votés chaque année dans le budget, il sera facile d’empêcher le service public, même en cours d’année. Une émission déplaît ? Le lendemain, on coupe des crédits. Il y aura aussi des pressions, des menaces, un changement vraisemblable des présidents de l’audiovisuel, d’autant que le mandat de Roch-Olivier Maistre, président de l’Arcom, vient à échéance l’année prochaine. Qui le remplacera ?
Donc, tout de suite, sans être privatisé, le service public sera menacé. Adieu Patrick Cohen, Sophia Aram et Nicolas Demorand ? Adieu France Culture ? Expurgés et remplacés par des clones de Pascal Praud ou de jeunes nouveaux zélotes des chemises brunes d’aujourd’hui ? Il suffit d’étrangler financièrement Radio France et France Télévisions pour qu’elles ne soient plus capables d’assurer leur mission, la gestion de nombreuses antennes de radio ou de télévision, mûres pour être vendues par appartement à des proches, quand ce pouvoir liberticide sera installé.
Liberté ! Car c’est bien de cela qu’il s’agit, celle des journalistes et la nôtre. Allons, s’il n’y avait qu’une seule raison de lutter de toutes ses forces contre le RN, c’est bien celle-là.
Après, il sera trop tard.