Les mensonges de Crépol

par Laurent Joffrin |  publié le 26/11/2023

Les uns n’osent pas dire qui sont les agresseurs, les autres déroulent leur catéchisme xénophobe. Les réactions au meurtre du jeune Thomas dans un bal populaire à Crépol dans la Drôme, mettent en lumière l’inanité des postures partisanes.

Laurent Joffrin

Naïveté des progressistes, perversité de l’extrême-droite. Avec une bonne intention – ne pas encourager un éventuel affrontement communautaire – la justice et une bonne partie de la presse ont volontairement tu les prénoms des suspects du crime de Crépol, laissant dans un pieux anonymat les assaillants de ce bal populaire où un jeune homme de 16 ans a été poignardé à mort. Mais comme tout se sait dans ce genre d’affaire très médiatisée, il s’avère que les prénoms en question désignent des garçons de culture musulmane, issus pour la plupart du « quartier sensible » de la Monnaie à Romans-sur-Isère. C’est un fait. Pourquoi l’avoir caché, sinon par une pusillanimité hors de propos ?

C’est en tout cas du nanan pour l’extrême-droite, qui double sa honteuse dénonciation de « l’immigration » (alors que les jeunes hommes en question sont français), d’un numéro bien rôdé sur « l’omerta » qui viserait à cacher aux bons Français la réalité des choses. À quoi bon édulcorer ce fait divers, qui est aussi un fait de société et qu’il est légitime de commenter ? On ne s’est pas privé de parler dans le cas de Nahel, ce jeune homme tué par un policier avant l’été. Mettre l’un en exergue et minimiser l’autre, c’est prêter le flanc à l’accusation de cécité volontaire.

On sait bien que la République, fautive en l’occurrence, n’a pas su éviter la sédimentation, au cœur des quartiers populaires, d’une couche sociale minoritaire mais inquiétante de jeunes issus de l’immigration englués dans une culture du trafic, de l’incivilité, de la transgression et de la violence. On en voit sans cesse la manifestation dans les règlements de compte marseillais, dans certains crimes commis récemment à Bordeaux, à Dijon ou ailleurs et, s’il était besoin d’une preuve, dans les émeutes de juin dernier qui ont secoué le pays par leur violence nihiliste.

Profitant de ces hésitations, l’extrême-droite déroule son dangereux bréviaire. Si ces suspects ont des prénoms musulmans, dit-elle, c’est bien que ces étrangers sont par nature dangereux et que l’immigration est le grand facteur de ces désordres. Et de mettre en scène ces « vrais Français », habitants d’un village de carte postale, joueurs de rugby, sport bien blanc (et non de football, « infesté par les racailles »), agressés par des « Français de papier » dont l’ADN serait celui de la violence et du « racisme antiblancs ».

Que dire, sinon que ce discours plus ou moins affiché exprime une xénophobie pure ? L’immigration coupable ? L’immense majorité des immigrés, à commencer par ceux des quartiers populaires, réprouvent cette violence. Dans ces cités, ils sont pris en otages par les narco-trafiquants, soumis à la loi des gangs et touchés au premier chef par les exactions des délinquants. Citoyens comme les autres, ils réclament la paix civile, déplorent l’inconduite des jeunes, espèrent la justice et, concrètement, la présence de la police en bas de chez eux. Incriminer « l’immigration », comme le font les Zemmour, Le Pen et même Ciotti, c’est mettre dans le même sac tous ces immigrés, qui n’en peuvent mais, et veulent avant tout se faire une modeste place au soleil au sein de la société française. C’est enfin favoriser par des déclarations hostiles et intolérantes, le communautarisme qu’on prétend combattre et exprimer son racisme latent par des sophismes pervers.

La vérité, c’est qu’il nous manque une politique à la fois sociale et ferme, qui table sur la sanction et la prévention, qui assure la prédominance des valeurs républicaines auprès de ces jeunes marginalisés par la relégation économique, sociale et culturelle, une politique qui leur donne, surtout, un espoir tangible d’intégration. C’est-à-dire la politique qu’une gauche sociale et républicaine soucieuse de la paix civile, hors de tout déni et de toute complaisance, devrait définir et défendre.

Laurent Joffrin