Les mystères de Naples
Avec Parthenope, le surdoué Sorrentino réalise une plongée époustouflante dans les sombres dédales de la ville italienne, à travers la vie d’une femme énigmatique et hiératique.

Dès son premier film, en 2004, Paolo Sorrentino fait irruption sur la scène du festival de Cannes avec Les conséquences de l’amour, sélectionné d’emblée en compétition officielle. Il a 34 ans. Depuis, il n’a jamais raté un rendez-vous, glanant un Prix du jury pour Il divo, qui retrace la carrière de Giulio Andreotti, personnalité incontournable de la Démocratie chrétienne, finalement soupçonné d’entretenir des liens étroits avec la mafia. Divus Julius était l’un des surnoms de Jules César.
Bizarrement, son chef d’œuvre de 2014, La Grande Belezza, fut l’oublié du palmarès cannois. Hollywood, en revanche, ne s’y trompa point, lui décernant un oscar du meilleur film étranger. Le monde entier s’enthousiasma, ensuite, pour sa série devenue culte, The Young Pope, avec Jude Law et Diane Keaton. Cette année, à Cannes, Parthenope divisa les festivaliers, comme souvent. Certains lui trouvaient du génie, d’autres le vouaient aux gémonies. « Télérama » gratifie le film d’un pour-contre. Ici, on sera pour.
Un mot sur le titre. Dans la mythologie grecque, Parthenope est une sirène, symbole de virginité. Ce fut la dénomination ancienne de Naples, encore qualifiée aujourd’hui de « cité parthénopéenne ». Preuve de son importance, la Fontaine de la Sirène est située au centre de Naples sur la place Sannazzaro.
Sorrentino retrace la vie de Parthenope du milieu des années 1950, jusqu’en 2023, date de la victoire en championnat d’Italie du Napoli, l’héroïque club de foot de la ville et du départ à la retraite de celle qu’on a vu naître au début du film. Cette jeune femme, d’une beauté époustouflante, attire le regard des hommes, attise leur convoitise. Parmi eux, un play-boy jet-setteur qui se damnerait pour elle, multipliant les gestes fous et les plus dispendieux. Pourtant, la jeune femme, ne répond à aucune avance ; elle campe haut dans sa solitude, se drape dans son mystère. Rien ne semble l’atteindre depuis le drame qui a clôt son adolescence solaire – le suicide, sous ses yeux, de son frère adoré. Les seuls hommes avec lesquels elle entretient des rapports, intellectuels ou affectueux, sont un écrivain américain à succès, homosexuel, alcoolique et suicidaire ; et son prof de fac, acariâtre, qui méprise tous ses étudiants, sauf elle, tant il est fasciné par sa supériorité intellectuelle. Elle est la seule étudiante qu’il considère digne, à sa retraite, d’occuper sa chaire ; et surtout de partager son secret le plus intime dont la révélation est une stupéfaction.
Le film de Sorrentino suit autant le parcours de Parthenope qu’il pénètre dans les dédales d’une ville. De même qu’il existe un « Fellini Roma », « Parthenope » pourrait être sous-titré « Sorrentino Napoli ». La caméra explore les bas-fonds miséreux où la mafia fait la loi. Et quand elle remonte à la surface, l’objectif est saturé par la lumière d’un éblouissant soleil d’Afrique. Le réalisateur multiplie les ruptures de ton. Quand la mélancolie menace de s’installer, il la chasse brusquement d’un électrochoc hystérique avant de repartir arpenter d’autres pistes. C’est parfois un peu long, malgré tout, et pas toujours du meilleur goût. Mais Parthénope offre des scènes inoubliables, drolatiques ou pathétiques, priapiques ou grotesques, qui s’impriment sur la rétine et dans la mémoire des spectateurs. Felliniennes, en quelque sorte …
Parthenope, de Paolo Sorrentino, avec Celeste Della Porta, Silvio Orlando, Gary Oldman, 2h16.