Les profs face à l’Intelligence Artificielle

par Jean-Paul de Gaudemar |  publié le 22/03/2024

 La Commission sur l’I.A formule des recommandations pour faire de la France un pays « en pointe ». Avec prudence sur l’éducation, et en posant de redoutables questions

La commission sur l’Intelligence Artificielle (IA), lancée en septembre 2023 par la Première ministre et animée par Anne Bouverot, présidente du conseil d’administration de l’École normale supérieure et Philippe Aghion, économiste ex-professeur au Collège de France, vient de remettre au Président de la République un rapport important sur la façon de développer en France cette nouvelle technologie.

À travers ses 25 recommandations, il soulève de nombreuses questions dont celles, inévitables de l’emploi, des données, des coûts énergétiques et financiers. On retiendra ici seulement celles traitant de l’éducation. Notamment la recommandation 11 ainsi formulée :« Encourager l’utilisation individuelle, l’expérimentation à grande échelle et l’évaluation des outils d’IA pour renforcer le service public de l’éducation et améliorer le quotidien des équipes pédagogiques ».

La formulation est d’un grande prudence. Pour la simple raison que, chaque élève étant différent, « la standardisation que requiert le numérique pour collecter et valoriser des données » est mal adaptée à l’acte pédagogique. Ce dernier est fait de « relations humaines » par lesquelles le professeur doit en permanence s’adapter à partir des normes minimales que constituent les programmes et les règlements internes des établissements. Par ailleurs ,on devine quelques dangers évidents, fraudes aux devoirs ou aux examens, addiction renforcée aux écrans…

Pour autant, on pressent les potentialités que représente l’IA au regard des apprentissages individuels des élèves. Le rapport en cite les principales : l’appui à la création de cours, l’accompagnement des élèves sous forme de tutorat, l’évaluation partielle par correction automatique, la formation des enseignants… d’où de multiples questions. Ainsi pour le tutorat.

Bien des expériences récentes ont démontré l’intérêt de la classe dite « inversée » selon laquelle le cours magistral est diffusé ou distribué par voie numérique et les périodes « présentielles » en classe sont consacrées à la bonne compréhension et à l’approfondissement de la discipline, en une sorte de tutorat collectif.

Ce que suggère la commission tend au contraire à faire du tutorat un usage privilégié de l’IA générative. Cela suppose non seulement la mise à disposition de tous les élèves de tels outils, mais surtout la capacité d’une IA à bien comprendre les difficultés d’apprentissage de chaque élève. L’hypothèse impliquerait la présence d’un adulte derrière chaque élève et non de s’y substituer.

Car le rapport suggère que l’IA pourrait « faciliter l’évolution d’un enseignant “sachant” (expert disciplinaire) à un enseignant “accompagnant” l’élève. S’agit-il d’un progrès ? Dans tous les cas, cela implique une transformation profonde de la formation des enseignants.

Non seulement en les formant aux usages les plus pertinents de l’IA, mais en tenant compte de leur propre créativité et capacité à s’emparer de tels outils.
On voit mal pourquoi on dénierait aux enseignants des capacités “d’apprentissage” que l’on accepte de conférer à des machines !

Jean-Paul de Gaudemar

Chronique Société - Education- Afrique