Les quartiers contre eux-mêmes

par Laurent Joffrin |  publié le 30/06/2023

On croit venger la mort du jeune Nahel. On se fait surtout du mal à soi-même

Laurent Joffrin

Comme dans certaines tragédies, il est des personnages qui croient agir logiquement et qui font leur propre malheur. Ainsi des révoltés – ou des émeutiers – qui se livrent ces dernières nuits à des violences inacceptables contre les forces de l’ordre, contre des bâtiments publics, qui pillent des magasins et brûlent des voitures.

On comprend la colère qui s’exprime devant la mort de Nahel M. à Nanterre. Les jeunes des mêmes quartiers ont souvent été aux prises avec une police d’intervention qui ne prend guère de gants dans ses méthodes et son langage. Voyant le sort du jeune Nahel, ils se disent : « Ç’aurait pu être moi ».

On comprend aussi qu’ils sont souvent les parias des quartiers, victimes plus qu’à leur tour de contrôles policiers. On sait qu’ils subissent la discrimination à l’emploi ou au logement, la relégation sociale ou l’assignation à résidence urbaine.

Mais on voit aussi les effets inéluctables de ces violences. Ce sont les services publics, précieux aux déshérités, qui sont attaqués, les mairies, les centres de loisirs, les écoles ou les organismes d’action sociale. Ce sont le plus souvent les voitures des habitants des mêmes cités qui brûlent, ou bien les quidams pacifiques voulant mettre fin aux déprédations, qui sont molestés, brutalisés, parfois passés à tabac. On verra avec émotion sur les réseaux cette mère de famille qui crie aux émeutiers « Pas l’école ! Pas l’école ! »

Ce sont d’honnêtes commerçants, utiles à la vie commune, qui voient leur boutique partir en fumée ou leur stock chèrement payé qui sont volés sans vergogne. Ce sont des policiers souvent issus des classes populaires, et même, comme on dit, « de la diversité », qu’on attaque à coups de pierres, de mortiers d’artifice ou de cocktails Molotov, alors même que la grande majorité des citoyens des cités demandent à la police d’assurer leur sécurité, de lutter contre l’arrogante tyrannie des trafiquants de drogue, de les protéger contre les délinquants professionnels, en un mot, de leur garantir une vie normale.

Les mêmes jeunes, ou leurs amis, se plaignent de la « stigmatisation » dont sont victimes les quartiers populaires. Croient-ils que ces scènes de violence, dont souvent les protagonistes s’enorgueillissent, vont améliorer l’image publique de leur cité, laquelle leur coûte cher dès qu’ils cherchent un emploi ou un logement ? Ils se plaignent à juste titre des préjugés du reste de la population à leur encontre. La violence urbaine, il faut bien le dire, ne fait que les renforcer.

Ils craignent enfin que des forces politiques intolérantes, hostiles aux étrangers ou à leur enfant – ou leurs petits-enfants – parviennent au pouvoir pour mener une politique de répression et de discrimination contre les étrangers ou leur descendance. Or qui profitera, in fine, de ces désordres qui heurtent la grande majorité des électeurs, sinon le Rassemblement national et ses épigones ?

Eux n’ont que faire de la détresse des jeunes de banlieue, ce désespoir qui les conduit à une forme de suicide social en détruisant l’environnement même où ils vivent.

Autrement dit, les émeutes urbaines qui frappent tant de quartiers déshérités servent surtout la cause de leurs adversaires. Voilà une évidence que tous ceux qui ont la moindre influence sur les jeunes des quartiers devraient rappeler.

Laurent Joffrin